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ces chansons qui courent les rues : « Donnez-nous vos grands manteaux de pourpre, nous en ferons de belles culottes pour l’armée de la liberté ? » La révolution est dans tous les cœurs, mais, grace à Dieu, dans les cœurs pacifiques aussi bien que dans les cœurs violens. L’Allemagne a ressenti les épreuves par où l’Angleterre et la France ont passé ; elle s’en est approprié les fruits par la méditation ; elle les a maintenant mûris.

Il ne s’agit d’élever ni une république antique, ni une république chrétienne ; la première sacrifie l’homme au citoyen, l’autre le citoyen à l’éternité. On ne détruira jamais ni le mariage ni la propriété ; il n’y aura peut-être rien de semblable en paradis, mais le paradis est loin. Il ne faut rien d’absolu ; l’absolue souveraineté est aussi mauvaise, qu’elle repose dans la multitude du peuple ou sur la tête du prince. La révolution allemande ne songe point à détrôner les princes ; elle ne croit pas que la démocratie américaine ait déjà fait suffisamment ses preuves ; elle accepte volontiers des souverains héréditaires, à la condition qu’ils renoncent à leurs prérogatives de droit divin et reconnaissent la sainteté du contrat mutuel entre le peuple et le monarque. N’ont-ils pas en effet assez de garanties, et la meilleure ne sera-t-elle point toujours le généreux sang de l’Allemand ?

Choisira-t-on maintenant pour modèles d’organisation les institutions françaises ou les institutions anglaises ? Les premières ne conviennent pas à une race aussi portée à l’isolement individuel que l’est la race allemande ; les secondes, profondément antipathiques à la centralisation, sont fondées sur le privilège, et suscitent par-dessus tout l’aristocratie de la naissance ou de l’argent. Ce qu’il faut à l’Allemagne, c’est un juste mélange des deux systèmes, c’est une centralisation qui respecte l’indépendance des états particuliers, c’est un point solide où viennent se grouper tous les membres divisés du corps germanique sans subir aucune loi qui les enchaîne. Tous veulent être Allemands et cependant rester Bavarois, Prussiens, Wurtembergeois ou Saxons ; ce sont deux mouvemens contraires qu’il faut tenir en équilibre. On sait bien désormais que l’équilibre ne s’établira pas à Francfort. Quant à ceux qui rêvent le retour de l’ancien empire sous un même prince, ce sont des insensés qui ne connaissent ni l’antiquité ni leur temps.

L’idéal de la politique allemande, l’espoir de l’auteur, qui doit beaucoup aux inspirations de Paul Pfizer, c’est une association d’états constitutionnels rassemblés dans une diète où il y aurait le banc des princes et le banc des citoyens, où les états particuliers enverraient leurs députés siéger en face des ministres délégués des souverains. Quel que soit l’avenir de cette combinaison suprême, quelle que soit la solidité de cette clé de voûte qui resserrerait et maintiendrait tout l’édifice allemand, selon les vues de M. Kurtz, on doit lui tenir compte de la manière dont il établit la nécessité des institutions représentatives dans chacun des pays de la confédération. Les partis, dit-il, sont chez nous plus qu’ailleurs des partis d’opinion ; ils ont des raisons d’être honorables et sincères, ils sont préparés à la vie publique ; il leur faut, pour se développer, le libre champ d’une constitution ; on n’a rien à faire de ces constitutions tombées du ciel qui doivent s’adapter éternellement à telle ou telle race et immobiliser telle ou telle classification sociale ; on veut une constitution qui permette aux peuples de produire librement leurs vœux et d’en assurer l’exécution, qui les rende d’autant plus