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français de voir comment la noble cause polonaise est défendue par un esprit allemand, lorsque celui-ci ne s’est pas encore tiré de cette mêlée des idées du jour heurtant et refoulant les idées du passé. Quelles que soient pourtant les différences par où l’auteur nous reste étranger, il n’y a personne qui ne s’associe de bon cœur à ces touchantes paroles qui sont à la fois la conclusion de son livre et le vœu commun de l’Europe libérale

« La nature fête la résurrection ; quel printemps pour la pauvre Pologne ! En cette belle saison d’espérance, la Pologne est tombée dans une misère plus grande que jamais… En un moment où tout un peuple saigne sous l’épée des bourreaux, comment la conscience des puissans leur a-t-elle permis de célébrer la résurrection de celui qui est mort pour la victoire du droit et de la liberté ?… Mais il y a un Dieu qui gouverne l’histoire ; la Pologne aussi ressuscitera. Polonais, que le réveil de la nature et le mystère de la solennité chrétienne vous encouragent et vous fortifient : la Pologne n’est pas perdue. — Écrit à Hambourg, le dimanche de Pâques 1845. »

Ce jour-là, nous assistions au banquet traditionnel qui réunissait ici les membres de l’émigration et leur rendait un instant quelque image de la patrie. Les nobles exilés s’abordaient, suivant l’usage de leur pays, en se donnant le baiser fraternel, et se saluaient avec cette parole au même moment répétée dans tous les châteaux et dans toutes les chaumières de Pologne : Christus resurrexit. Est-ce donc de la mort que peut sortir cet appel à la vie ?


Voici maintenant le petit livre de M. Kurtz ; il a paru vers la fin de l’année dernière, et au milieu de l’agitation plus ou moins factice qui surexcitait encore tout à l’heure l’Allemagne ; il est peut-être à propos de lui marquer sa place dans le mouvement sérieux et naturel des esprits. Il ne s’est point produit sans peine, il a probablement circulé sous le manteau plutôt qu’il ne s’est publiquement débité. L’auteur nous apprend que son libraire sort à peine de la prison où on l’avait jeté pour avoir vendu des vers faits contre le roi de Bavière. Nous espérons que l’éditeur, déjà si maltraité, n’aura pas eu cette fois pareille mésaventure, et cependant il y a bien assez de bonnes vérités dans les quelques pages de M. Kurtz pour avoir fâché la censure bavaroise. M. Kurtz invoque le patronage de Paul Pfizer, le démocrate wurtembergeois ; il appartient à cette école de libéraux qui gouverneront un jour l’Allemagne, s’ils savent mettre de la suite dans leurs pensées, et ne se laissent point trop souvent distraire par les fantaisies ou les préventions de leur pays. Il semble même assez avancé dans ces voies raisonnables, et, si les idées constitutionnelles peuvent avoir, au-delà du Rhin, des avocats plus connus, elles n’en ont pas beaucoup de plus intelligens. Par une singularité dont l’auteur semble s’excuser en même temps qu’il l’avoue, ce recueil de réflexions très positives sur des choses très pratiques est l’œuvre d’un poète : le livre a même un second titre, et s’appelle Opinion d’un poète en matière politique. La confession de M. Kurtz n’est pas sans intérêt pour l’histoire du sentiment poétique tel qu’il se débat aujourd’hui, aux prises avec les réalités de la vie courante. « Si je ne monte pas à la tribune, la lyre à la main, comme on l’attendrait d’un poète, dit naïvement M. Kurtz, c’est, à parler franc, que ma lyre est muette sur ces sujets-là : j’ai essayé plus d’une fois, et de la meilleure volonté du monde ; je n’ai rien trouvé de supportable. Le citoyen et le poète sont