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bonne intelligence de 1845. Lord Palmerston n’a pas encore répliqué à la note de M. Guizot, qui a dû lui parvenir le 8 octobre ; le bruit avait couru, dans ces derniers jours, qu’il aurait directement adressé une lettre au roi : il n’en est rien. Les faits qui viennent de s’accomplir rendent à lord Palmerston une réponse très difficile. Il n’a pas réussi dans sa tentative de paralyser l’action de la France, et cet échec ne doit pas lui inspirer un grand empressement à reprendre la plume. Toutefois ce silence, dût-il se prolonger encore, ne saurait faire illusion sur les sentimens du ministre anglais, qui, à coup sûr, n’oubliera ni ne pardonnera rien. Les whigs travaillent, non sans succès, à se fortifier de plus en plus ; sir Robert Peel ne peut songer maintenant à revenir aux affaires. Les whigs se flattent de voir les amis de l’ancien premier ministre s’unir à eux dans la chaleur des luttes parlementaires. Alors certaines difficultés qui tiennent aux personnes se trouveraient écartées ou aplanies. Enfin on annonce que lord Aberdeen tient sur les affaires d’Espagne le même langage que lord Palmerston. Ces indices montrent combien notre gouvernement doit mettre tout ensemble dans sa conduite de circonspection et de fermeté. Il se présente aujourd’hui à l’Europe, non plus avec l’amitié de l’Angleterre, mais dans une sorte d’isolement qui, nous le croyons, n’est pas redoutable pour la France. Cette situation nouvelle n’est pas au-dessus des forces du gouvernement de 1830, qui compte aujourd’hui seize années de durée, pendant lesquelles on a pu se convaincre au dehors qu’il était nécessaire à l’ordre européen. La France peut avec sécurité observer et attendre ; il y a des alliances que le temps et la force des choses lui apporteront : on la recherchera d’autant plus qu’elle sera plus calme et moins empressée.

Il serait puéril de vouloir le dissimuler, il y a eu changement de front dans la politique du gouvernement de 1830. Même ce changement subit et complet a porté l’étonnement dans les rangs des conservateurs. Plusieurs d’entre eux se sont vus troublés dans leur quiétude : tout mouvement leur fait peur, toute initiative les déconcerte. Ce ne sont pas là les conservateurs dont nous serions jaloux de soutenir la cause et la politique ; ils ont le culte de l’immobilité ; aussi seraient-ils disposés à considérer comme téméraire ce qui nous a paru strictement nécessaire à l’honneur, aux intérêts de la France. Il y a trois mois, nous remarquions que la composition de la nouvelle chambre obligerait le cabinet, dans la prévision de son avenir, à modifier son attitude. Il est arrivé par la toute-puissance des événemens et de l’imprévu que ce changement nécessaire a commencé par se produire dans la politique extérieure.

Quant aux modifications dans les personnes, les rumeurs que dans ces derniers jours on a voulu accréditer sur ce sujet nous paraissent sans fondement. M. le duc de Dalmatie garde la présidence nominale du conseil ; il ne saurait s’en trouver dessaisi que de son plein gré, si un jour il la croyait peu compatible avec ses convenances et sa dignité personnelle. Lorsque la nouvelle chambre s’est rassemblée cet été, plusieurs de ses membres ont été surpris et presque choqués de l’absence du maréchal. C’étaient sans doute des députés nouveaux et rigoristes, qui se faisaient une idée exagérée des devoirs d’un président du conseil. Ceux qui ont prononcé le nom de M. Hippolyte Passy comme successeur de M. Lacave-Laplagne auraient pu se rappeler qu’à la mort de M. Humann, quand l’héritage de ce dernier lui fut offert, M. Passy ne put s’entendre avec le cabinet du 29 octobre. Il demanda deux jours pour faire connaître au ministère