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jeu d’enfant à ce petit homme de si frêle apparence. La Lucia nous a rendu aussi M. de Candia, qu’une indisposition avait empêché de prendre part aux premières représentations du théâtre. Légèrement altérée d’abord, la voix du jeune ténor a bientôt eu repris tous ses avantages, et dans le charmant duo des fiançailles, au second acte, comme dans le sublime monologue de la fin, elle s’est retrouvée samedi aussi limpide, aussi passionnée que jamais. Il y a chez M. de Candia, outre le talent du chanteur qui s’accroît de jour en jour, grace à de sérieuses études et à l’expérience de la scène, il y a, disons-nous, une préoccupation du drame et de ses accessoires qui évidemment n’est point d’un virtuose italien, tel du moins qu’on se le figurait aux temps de Nozzari, de Davide et même de Rubini. A ce compte, le rapide passage du jeune ténor à l’Académie royale de musique ne lui aura point été inutile. M. de Candia se souvient aux Bouffes de la scène illustre où fut Nourrit ; je n’en veux d’autre preuve que ce soin intelligent apporté par lui dans ses costumes, soit qu’il ait à représenter le More de Venise ou la sombre et pâle physionomie d’Edgar de Rawenswood. On aime à surprendre chez un chanteur de mérite ce goût des autres arts, sans lesquels au théâtre rien n’est complet. C’est ainsi qu’on a procédé à la réforme de l’Opéra ; c’est ainsi que Lablache, Ronconi et M. de Candia aident à ce compromis désormais nécessaire entre la musique et le drame, et vers lequel les maîtres de la nouvelle école italienne, Mercadante et Verdi en tête, sentent qu’il faut marcher. On a beau dire, il y a de ces goûts élégans, de ces instincts secrets par lesquels les natures d’élite se trahissent toujours, quelque voie qu’elles suivent d’ailleurs, et ce culte des moindres détails du costume que nous remarquons ici chez M. de Candia, l’artiste des Italiens l’emprunte, soyez-en sûr, au fin et prodigue connaisseur, occupant les loisirs que lui laisse le théâtre à recueillir ces belles collections de gravures et d’objets d’art de tout genre dont s’enrichit sa jolie habitation de la rue d’Astorg. — Aux ouvrages du répertoire qui ont ouvert la saison, des nouveautés doivent avant peu succéder : on annonce la Fiancée corse et les deux Foscari, pour lesquels, à ce qu’on assure, Verdi vient d’écrire une cavatine de ténor destinée à remplacer l’ancienne, jugée insuffisante ; puis viendront les belles soirées de Nabucco, et aussi celles des Puritains et de don Pasquale, que nous rendra Lablache. D’ici là, il faut espérer que le public sera de retour, car, même avec d’aussi splendides élémens, nous persistons à croire qu’au Théâtre-Italien rien ne saurait se faire sans lui.


H. W.