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premier acte, accompagnée par seize trompettes derrière le théâtre, n’emportent le succès de la soirée. Outre ces fragmens de proportions véritablement grandioses, la Donna del Lago renferme divers morceaux, d’un ordre supérieur que nous espérons bien retrouver dans Robert Bruce en dépit des mille transpositions, arrangemens et modifications qu’on n’aura pas manqué de faire subir à l’œuvre primitive pour la rendre méconnaissable et donner à croire à du nouveau ; tels sont le charmant chœur de femmes : d’Inibaca donzella, le duo entre Elena et Uberto : le Mie barbare vicende, et la cavatine de Malcolm. — Un jour donc que M. le directeur de l’Opéra songeait aux moyens de réformer son programme et de remplacer par quelque chose de moins invraisemblable l’annonce fantastique du Prophète et de l’Africaine, le souvenir du conseil de Rossini lui revint à la mémoire. On délibéra sur la manière de s’en servir, et, pour donner à l’affaire plus d’importance et de solennité, il fut résolu que deux plénipotentiaires se rendraient immédiatement à Bologne auprès du grand maestro, lequel, s’il ne travaillait pas, voudrait bien du moins, en faveur des circonstances, consentir à faire mine de travailler. Alors M. Vaëz et M. Niedermeyer partirent. Envoyer un poète à Rossini, passe encore ; mais un musicien, franchement cela ne se conçoit guère ! Qu’en fera-t-il ? Ici un grave dilemme se présente : ou Rossini va s’exécuter, et alors qu’a-t-il besoin, je vous prie, de la présence de M. Niedermeyer ? ou ce sera tout simplement l’auteur de Stradella et de Marie Stuart qui fera la besogne sous les yeux du maître, et, dans ce cas, pourquoi nous venir parler d’œuvre nouvelle et de concessions obtenues ? Il n’importe, tenons-nous-en au récit qu’on nous donne. Voyez-vous d’ici le sublime sceptique installé entre ses deux conclavistes et procédant avec un flegme imperturbable au dépouillement de ses vieux portefeuilles, indiquant au poète un rhythme susceptible de s’adapter à telle cavatine de Ricciardo, de Zelmira, ou d’Ermione, qui ne demande qu’à resservir, et dont le musicien trouvera le manuscrit dans un carton quelconque de sa bibliothèque ; puis le soir, dans les épanchemens de l’après-souper, racontant ses labeurs du jour au brave Donzelli, qui ne revient pas de tant de prodige, et s’arrête confondu au milieu d’une partie de whist ! Si nous ne nous trompons, Rossini n’en usait pas tout-à-fait de la sorte aux temps de ses travaux sincères, lorsque, dans cet appartement du boulevard Montmartre ouvert dès le matin aux amis nombreux qui le fréquentaient, l’illustre maître terminait son chef-d’œuvre de Guillaume Tell, et, sans rien perdre des conversations qui se croisaient autour de lui, jetant ici et là son mot railleur, traçait d’une plume de flamme cette incroyable partition sortie sans rature de ses mains.

On a dit que l’administration du Théâtre-Italien comptait s’opposer à la mise en scène de Robert Bruce à l’Académie royale de musique. Nous avouons qu’une semblable prétention nous paraîtrait complètement inadmissible, et que nous partageons à ce sujet les sentimens de M. le directeur de l’Opéra, qui, tout en invoquant son droit de faire traduire pour le représenter sur son théâtre tel opéra du répertoire italien qu’il lui plaira de désigner, en réfère néanmoins là-dessus à la question de convenances. Maintenant, peut-on de bonne foi soutenir qu’ici les convenances aient été violées le moins du monde ? Remarquez qu’il ne s’agit pas seulement d’un opéra écrit, il y a tantôt vingt-sept ans, en Italie, et