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sous prétexte d’une intervention aussi insignifiante que celle attribuée à Rossini dans toute cette affaire, de vouloir porter atteinte à la royauté consacrée du chantre de Guillaume Tell et du Stabat.

Qu’est-ce, au reste, que cette intervention qu’on lui suppose, et dont on prétend faire si grand bruit ? Interrogeons la lettre de M. le directeur de l’Opéra en réponse à l’article de M. Delécluze, qu’y voyons-nous ? On se sentait de toutes parts déshérité. M. Auber, occupé de son Conservatoire, occupé surtout de l’Opéra-Comique, persistait à ne rien promettre, persistance désormais vaincue, s’il faut en croire un bruit qui court. Quant à Meyerbeer, de jour en jour plus insaisissable, il avait fini par s’effacer dans l’espace et disparaître entre son Prophète et son Africaine comme une constellation perdue. Restait encore M. Halévy ; mais on avait bien abusé de son génie, sans compter que l’auteur de la Peine de Chypre et de Charles VI, se ressouvenant du théâtre où fut représenté l’Eclair, travaillait à ses Mousquetaires de la Reine. Il est vrai qu’on avait le droit de faire appel aux jeunes talens, terrible droit qu’au théâtre on n’exerce guère impunément. Survinrent donc M. Balfe et son Étoile de Séville, M. Mermet et son Roi David, M. de Flotow et l’Ame en peine ; mais une administration quelque peu intelligente sait d’ordinaire à quoi s’en tenir sur les expédiens de ce genre : aussi songeait-on à se ménager d’autres ressources. Pour sortir d’embarras, il fallait absolument un chef-d’œuvre, rien de moins ! À défaut du Prophète et de l’Afvricaine, auxquels, après tant de déconvenues, force était bien de renoncer, on inventa donc tout simplement un opéra de Rossini ; chimères sur chimères : cet opéra, c’est Robert Bruce. — Pendant son dernier voyage à Paris, l’auteur du Comte Ory, du Siège de Corinthe et de Guillaume Tell, tout en refusant de rien écrire d’original pour la scène, confia à M. le directeur de l’Opéra qu’il existait au nombre de ses anciens ouvrages une partition, objet de ses prédilections les plus chères, et dont l’Académie royale de musique devrait peut-être essayer de tirer parti. Rossini voulait parler de la Donna del Lugo, et ce fut sur cette indication rétrospective du grand maître qu’on bâtit l’idée de l’opéra nouveau, si impatiemment attendu par toute une génération fort avide, à ce qu’on nous raconte, d’assister au réveil du lion. Représentée en 1819, la Donna del Lago n’obtint d’abord qu’un assez froid accueil, et cette première sensation du public de Naples n’a jamais été contredite, même à Vienne et à Berlin, où quelques rares morceaux d’ensemble, d’un style austère et grandiose, provoquèrent pourtant une impression d’enthousiasme. Aussi, quelques reproches qu’on puisse adresser à l’administration du Théâtre-Italien pour s’être privée volontairement, depuis plusieurs années, de ce remarquable ouvrage, il convient d’avouer qu’il eût été difficile de le maintenir avec honneur au répertoire. Même au temps de la Pisaroni et de la Sontag, la Donna del Lago, si l’on s’en souvient, ne brillait guère qu’au second rang parmi les opéras affectionnés du dilettantisme parisien. Somme toute, ceci ne présumerait rien contre la tentative de l’Académie royale de musique ; il y a dans cet ouvrage de Rossini, qu’on a dès l’origine accusé d’être plutôt une épopée qu’un drame lyrique, il y a, disons-nous, un certain coloris ossianesque dont la vaste scène de l’Opéra aura su nécessairement profiter. Nul doute que le fameux chœur des bardes, exécuté avec toutes les pompes de l’endroit, et la marche de la fin du