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les vrais sages, pour écouter, les ambitieux pour propager leur nom, se dresser à eux-mêmes un piédestal et trouver des prôneurs. Quelques mots sur cette guérilla académique achèveront de compléter le tableau, et, pour rester fidèle à la couleur locale, nous donnerons aux femmes la première place, comme on leur donne dans les séances publiques les stalles d’avant-scène.

Depuis Christine de Pisan, cette Eve des bas-bleus, jusqu’à la femme libre du saint-simonisme, le beau sexe, comme on disait en 1808, a réclamé souvent son niveau social. Pour arriver à la désubalternisation qu’elles rêvent, les femmes, sous l’ancienne monarchie, faisaient des livres, les utopistes s’associaient à leurs efforts, et Guillaume Postel, le célèbre visionnaire, composait en leur faveur la très merveilleuse histoire des femmes du monde, et comme elles doivent à tout le monde par raison commander, et même à ceux qui auront la monarchie du monde vieil. Aujourd’hui comme alors elles trouvent encore des partisans parmi les socialistes, quelquefois même parmi les abbés, ce qui est un progrès notable ; mais elles ne se contentent plus de publier des volumes et de tenir des bureaux d’esprit, elles ouvrent des cours ou se réunissent en sociétés académiques. C’est à Mme Louise D… qu’on doit l’invention des cours. Le 19 mai 1836, cette dame ouvrit au Ranelagh un cours de droit social du sexe qui fut vivement applaudi par quelques initiées. Cependant la création de cette faculté d’un nouveau genre ne hâta guère, à ce qu’il semble, l’œuvre de la désubalternisation. Quelques dames de lettres s’organisèrent alors en institut, et M. le comte de Castellane accepta le patronage de la nouvelle académie. On ne tarda point à reconnaître que l’hôtel de Rambouillet avait fait son temps et que Molière aurait toujours raison. L’académie fut licenciée ; mais, chez les femmes, on le sait, les volontés sont tenaces, et vers la fin de 1845 on annonça la résurrection de l’institut féminin. Cette fois ce n’était plus M. de Castellane qui accordait son protectorat et prêtait ses salons, c’était une dame du faubourg Saint-Germain, riche, spirituelle, enthousiaste pour les lettres, et qui pensait les servir en donnant une rivale à Richelieu. Le programme fut rédigé sur des proportions tout-à-fait princières. Les académiciennes devaient être logées, comme autrefois les membres du Brucchium dans le palais des rois d’Égypte, et pensionnées comme les membres de l’Institut. Elles devaient en outre toucher des jetons de présence et travailler à un dictionnaire de la langue française, sinon plus complet, du moins plus volumineux que tous les dictionnaires connus. En septembre 1845, les dix premières dames titulaires furent nommées d’office avec mission d’élire leurs collègues jusqu’au nombre de quarante ; il parait que les élections ne sont point encore terminées.

Ici on joue à l’académie, ailleurs on joue au gouvernement représentatif, et, d’un côté comme de l’autre, ce sont des jeux innocens. L’éloquence politique a choisi pour siège la conférence d’Orsay, où des jeunes gens s’exercent à reproduire de leur mieux les séances de nos assemblées législatives. On arrive souvent à la conférence d’Orsay au sortir du collége, et sans autre titre officiel que celui de bachelier ès-lettres. Les futurs députés votent des budgets fantastiques et proposent des amendemens inadmissibles sur des projets de lois imaginaires. On improvise des commissions, des orateurs, de la gravité même ; cependant nos hommes d’état adolescens trouvent quelquefois en eux assez d’ardeur juvénile pour se laisser entraîner jusqu’à la passion et faire entendre à leurs