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III.

Paris compte aujourd’hui, non compris l’Institut, trente-six sociétés reconnues et approuvées par le gouvernement. Au milieu ou plutôt au-dessus de ces sociétés, l’Institut tient un rang tout-à-fait à part. Raconter l’histoire des cinq académies, en faire l’apologie ou la satire, ce serait recommencer une tâche déjà faite mille fois, et nous n’avons aucun goût pour les compilations inutiles. Nous laisserons donc de côté les académies constituées par l’état pour arriver tout de suite au tiers-état académique, qui n’a ni broderies ni traitement. La limite est nettement tranchée. D’un côté, l’Académie paie ses membres ; de l’autre, ce sont les membres qui paient pour loger, éclairer et chauffer l’académie.

Quand on compare, à trente années de distance, les travaux des sociétés savantes, le fait qui frappe dès l’abord, c’est la prédominance des études positives et purement scientifiques sur les études littéraires, et l’effacement complet des études philosophiques. En ce qui touche la littérature proprement dite, les académies parisiennes, isolées du mouvement et de la vie active, sont comme une sorte de nécropole où dorment, sans espoir de résurrection, les représentans obstinés de l’école classique de 1808, et les automédons démontés dans les jeux olympiques du romantisme de 1826 ; mais c’est le classique qui domine, et l’on pourrait parfois se croire transporté dans l’âge d’or des fadaises mythologiques. Amaryllis et Daphné, toutes les beautés mythiques et impersonnelles du Parnasse païen, ont encore, qui le croirait ? des adorateurs et un culte dans ce Paris sceptique, qui a renié tant d’autres dieux.

Parmi les sociétés purement littéraires, celles qui nous rapprochent le plus du passé ont une sorte de privilège d’âge, et doivent nous occuper d’abord. La Société lyrique des Bergers de Syracuse est une églogue vivante qui, sans aucun doute, eût attendri jusqu’aux larmes M. de Florian. Cette société, fondée en 1804, a pour emblème une houlette ; ses poètes n’y parlent jamais de leur lyre, mais de leur musette et de leurs pipeaux, et, quand la séance est ouverte, les qualifications prosaïques de la politesse moderne sont remplacées par les appellations quasi-virgiliennes d’aimable berger et d’aimable bergère. Estelle et Némorin auraient pu, on le voit, réclamer la présidence de cette académie pastorale, qui, à défaut d’autre mérite, a du moins l’avantage de prouver que les traditions naïves ne sont point complètement effacées parmi nous.

Fondée il y a cent six ans par une société d’amateurs, dont quelques-uns talent gens d’esprit, la Société académique des Enfans d’Apollon peut être placée à peu près sur le même rang que les Bergers de Syracuse, et ces enfans d’Apollon, qui, en vertu de l’article LIII des statuts réglementaires, « doivent au moins une fois dans l’année le tribut de leur talent, » ne sont pas moins classiques par l’inspiration que par le cérémonial. Ainsi, quand on revoit un nouveau membre, deux maîtres des cérémonies sont chargés de l’introduire. Alors tous les membres se lèvent ; le chef, c’est-à-dire le président, adresse la parole au récipiendaire, lui donne l’accolade, et le proclame fils du blond Phébus, après lui avoir exprimé les sentimens de ses collègues ; cela fait, les maîtres des cérémonies reconduisent le récipiendaire à sa place, et tous les membres se rassoient. On compte parmi les dignitaires M. Orfila, doyen de la Faculté de médecine, ce qui