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Florence huit, et sans compter celles qui se sont fait une célébrité par la bizarrerie de leur nom seul, telles que les académies des ardens, des altérés, des endormis, des humoristes, des inquiets, des ensevelis, des illuminés, des muets, des fous, etc., il en est, comme l’académie platonique et l’académie della Crusca, qui ont mérité, par l’importance de leurs travaux, une place glorieuse dans les annales de l’esprit humain. Marcile Ficin, Pic de la Mirandole, Ange Politien, Machiavel, prirent une part active aux travaux de l’académie platonique. Le Tasse eut avec les membres de la Crusca des démêlés qui sont restés célèbres, et l’on vit souvent éclater entre les sociétés des différentes villes des rivalités non moins ardentes que les haines qui divisaient les républiques ; c’étaient dans les rapports de la vie littéraire les mêmes jalousies, les mêmes inimitiés, les mêmes perfidies que dans la vie politique. L’épigramme, il est vrai, remplaçait le poignard, mais les blessures n’étaient pas moins profondes, et, tandis que chez nous les luttes académiques s’élèvent à peine à la hauteur d’une querelle entre Vadius et Trissotin, elles prennent en Italie, même de notre temps, les proportions d’une véritable guerre civile.

Le grand mouvement de la renaissance fit sentir plus vivement aux hommes préoccupés des sciences et des lettres le besoin d’associer leurs travaux et leurs efforts. Dès la première partie du XVIe siècle, quelques villes françaises eurent de véritables académies, et, en ce point, elles devancèrent la capitale de près d’un siècle. Les Lyonnais, jaloux de renouer la chaîne des temps et d’ajouter à la moderne illustration de leur cité l’éclat d’une gloire antique, reconstruisirent, sous le titre d’Athenœum Lugdunense restitutum, l’académie que Drusus et Claude avaient honorée de leur protection. Un an après la conquête de la Bresse par François Ier, en 1536, on trouve à Bourg une société libre des sciences et des arts, qui avait fait graver sur la maison où elle tenait ses séances ces pentamètres caractéristiques :

Pieridum domus haec : sacros haurire liquores
Si cupis, hanc adeas, docta Minerva rogat.
Ingenuas artes sub tecto hoc clamat Apollo,
Atque suum quaevis musa agit officium.


Désormais l’impulsion était donnée, et lorsque Richelieu fonda l’Académie française, lorsque Colbert, en 1666, fonda l’Académie des sciences, ces grands ministres ne firent que consacrer, par une sanction officielle, des institutions qui depuis long-temps déjà avaient reçu la sanction de l’usage. Ici, d’ailleurs, comme en bien d’autres points, les rêveurs, ou si l’on veut les philosophes, avaient devancé les hommes d’état, et dans la célèbre utopie de Bacon, la Nouvelle Atlantide, il est parlé d’un institut de Salomon, divisé, comme l’Institut de France, en diverses sections, mécanique, physique, histoire naturelle, etc. « Notre but, dit un des membres, est la découverte des causes et la connaissance des principes pour étendre les limites de l’empire de l’homme sur la matière. » En donnant pour base à toutes les études l’observation et l’expérience, Bacon inaugurait en quelque sorte dans la société moderne le principe de l’association intellectuelle, et par cela même les académies. Perdu dans l’infini de sa pensée et arrêté dès les premiers pas par le mystère et l’inconnu, l’homme allait chercher parmi ses semblables d’autres yeux, d’autres esprits, pour voir, pour penser avec lui.