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accessibles que par-devant. Après le débarquement des Indiens, un silence complet régna pendant quelques instans. Il ne nous restait plus guère qu’à recommander notre âme à Dieu et à faire payer le plus chèrement possible notre mort inévitable. Nos poires à poudre étaient pleines, nos sacs garnis de balles ; nous portions sur nous assez de pinole et de cecina pour soutenir un siège de vingt-quatre heures, et par-dessus tout j’inspirais à mon compagnon une inébranlable confiance, comme aussi, je dois l’avouer, je comptais raisonnablement sur lui.

Au bout de quelques minutes, qu’il était permis, dans notre position, de trouver longues, une douzaine de ces chacals parurent enfin sur la lisière du bois à une bonne portée de carabine. Avec leurs figures barbouillées de rouge et de jaune, leurs longs cheveux nattés, les lanières découpées qui ceignaient leurs bras et leurs jambes, ils avaient une tournure et un aspect diaboliques. Il y avait surtout parmi eux un grand coquin qui m’inspira dès l’abord une vive antipathie. Ils firent halte tous à la fois et parurent se consulter, après quoi le grand diable s’avança de quelques pas et nous fit signe impérieusement de venir les trouver.

— Tirerai-je dessus ? demandai-je au Canadien.

— Pas encore, me répondit mon associé, ils sont trop loin, et, dans notre position, chacun de nos coups doit porter.

— Bon, j’attendrai, repris-je.

Une nouvelle sommation de leur part n’obtint, comme la première, aucun succès ; ils continuèrent à s’avancer, et le Canadien fit feu, un Apache tomba ; une minute après, il fut suivi d’un autre que j’attrapai en visant mon grand Indien. Nos ennemis se jetèrent alors à plat ventre, un nuage de poussière s’éleva en l’air, et nous ne vîmes plus rien ; quelques flèches seulement sifflèrent à nos oreilles, et d’autres vinrent s’enfoncer à nos pieds. Nous fîmes feu une seconde fois et avec succès, autant que je pus en juger par les hurlemens qui suivirent notre décharge. Un voile de poussière sans cesse renouvelé nous dérobait les Indiens, et quand il s’abattit, une douzaine de ces démons enragés gravissaient la colline sur laquelle nous étions retranchés. Leurs épouvantables figures barbouillées vinrent presque se coller contre les nôtres, et nous sentîmes passer sur notre front le souffle ardent de leur haleine. Le Canadien en abattit un à bout portant, tandis que la crosse de son fusil brisait le crâne d’un autre ; tout à coup je vis mon compagnon rouler en bas de l’éminence, enlacé par trois Indiens, et je l’entendis me crier d’une voix étouffée :

— Feu ! feu ! dussiez-vous me tuer avec eux !

J’avais déjà bien du mal à tenir les cinq autres en respect à l’aide de ma carabine, et j’eus un moment d’angoisse horrible à la vue de ces reptiles enroulés autour du Canadien, qui, seul contre trois, cherchait