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leurs larges feuilles lustrées. Un cèdre s’élevait sur le talus, et ses branches inférieures venaient tremper jusque dans l’eau les mousses parasites dont elles étaient chargées. Des acajous aux troncs noueux, des sumacs, des palos mulatos à la peau exfoliée, s’étageaient en groupes serrés au-dessus du cèdre. Du côté opposé, une clairière d’une trentaine de pas de diamètre, s’étendant jusqu’à d’épais fourrés de frênes, de palétuviers, formait comme un carrefour percé de sombres arcades. Tel était l’endroit où m’attendait le chasseur mexicain. Je le trouvai nonchalamment étendu sur la mousse, et goûtant la fraîcheur de l’ombre à l’entrée d’une des avenues obscures qui s’ouvraient sur la clairière. Sa carabine à canon bleu était à côté de lui. Je félicitai Bermudas d’avoir choisi pour notre rendez-vous un site dont la beauté sauvage devait en quelque sorte prêter un nouveau charme au récit de ses aventures.

— Je suis charmé, me dit-il avec un sourire dont je ne compris pas d’abord toute l’ironie, que l’endroit soit de votre goût, mais vous verrez d’ici à peu de temps qu’il est encore mieux choisi que vous ne pensez.

Je n’avais pas oublié le chasseur canadien, et je m’informai de ce qu’il était devenu.

— Vous le verrez tout à l’heure, dit Bermudes ; il est occupé à terminer quelques dispositions relatives à notre réunion de ce soir.

Le soleil couchant illuminait les profondeurs de la forêt quand le coureur des bois vint nous rejoindre. Le géant canadien tenait d’une main sa carabine, de l’autre il traînait en laisse un petit poulain qui boitait pitoyablement et regimbait de toutes ses forces.

— Eh bien ! Dupont (ce n’est pas sans peine que je reconnus ce nom français singulièrement défiguré par la prononciation mexicaine), a-t-on disposé les feux autour de la Noria ? demanda Bermudes.

Le Canadien répondit affirmativement, et, après avoir attaché le poulain par une longue et forte corde au tronc du cèdre qui s’inclinait sur la source, il vint s’étendre sur la mousse, près de nous. Quant à moi, je commençais à ne plus rien comprendre à ce poulain et à ces feux allumés contre l’usage autour de la Noria. Je voulus connaître l’objet de ces préparatifs : Matasiete me répondit que c’était pour écarter les bêtes féroces. J’insistai pour avoir une réponse plus précise ; le chasseur se mit à rire.

— Eh quoi ! n’avez-vous pas deviné ? me dit-il.

— Non.

— Eh ! caramba ! vous êtes avec nous à l’affût du tigre qui donne le cauchemar à l’honoré seigneur don Ramon !

— A l’affût d’un tigre ! m’écriai-je, vous voulez rire à mes dépens ?

— Non, certes, et je vais vous prouver que tout cela est très sérieux. En disant ces mots, Matasiete se leva, et, m’invitant à raccompagner,