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L’HACIENDA DE LA NORIA




II.

BERMUDES-EL-MATASIETE,

SCÈNES DE LA VIE DES BOIS EN AMÉRIQUE.[1]




A une portée de fusil de l’hacienda, une trentaine de huttes, capricieusement groupées, servaient d’habitations aux peones ou travailleurs à gages. L’aspect de ces cabanes n’annonçait pas la misère : il semblait que la nature se fût complu à jeter le voile d’une végétation luxuriante sur les parois de bambous ou de fagots qui disparaissaient sous les larges feuilles et les tiges grimpantes des calebassiers aux calices d’or. Chaque hutte s’élevait au milieu d’un enclos formé par une haie vive de cactus cierges, que des volubilis aux clochettes multicolores couvraient de leurs réseaux serrés ; mais l’intérieur des cabanes était loin de répondre à ces rians dehors. Tout y trahissait le dénuement affreux qui est le partage du peon. Sur la terre qu’on lui concède, chaque travailleur ne peut en effet cultiver à son profit que le carré de piment et de tabac qui lui est accordé par le maître de la ferme, et le temps qu’exige l’exploitation de ce petit coin de terre est pris sur ses heures de repos. Un monopole impitoyable le force d’acheter à l’hacienda le blé, le maïs, les objets manufacturés nécessaires à sa consommation, et dont le prix dépasse de beaucoup son modique salaire. Le travailleur libre d’une hacienda achète donc presque tout à crédit, et le propriétaire reste

  1. Voyez la livraison du 1er  octobre.