Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/480

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et ne rencontre pas chez eux l’antipathie qui accueille la civilisation et la police germaniques. La Russie, étant slave, offre aux peuples de cette race plus de garanties de bienveillance qu’aucun autre empire, la même situation politique étant donnée, c’est-à-dire que, dans l’alternative d’avoir pour dominateurs ou des Russes ou des Allemands, les Slaves se tourneront toujours vers les Moscovites, leurs frères de langue et d’origine, avec moins de répugnance que vers l’Allemand, qui leur est absolument étranger. Il ne faut donc pas croire que le système russe actuel, tout en excitant la juste répulsion des Slaves, leur soit assez antipathique pour les jeter aveuglément et sans condition aux bras de l’Occident. C’est là une déplorable illusion de la diplomatie. Cette illusion constitue précisément le plus grand danger de la situation. En faisant entendre à l’Orient gréco-slave qu’il ne lui reste plus qu’à opter entre le protectorat de l’Allemagne et celui de la Russie, c’est-à-dire entre deux jougs, on espère que les populations condamnées se résigneront au joug allemand. C’est justement le contraire qui se prépare. « Ayons confiance, se disent tout bas les Slaves, dans le patriotisme du tsar : comme empereur de toute notre race, il suivra des doctrines plus larges que celles qui asservissent encore le souverain de la Moscovie. La Prusse et l’Autriche ont juré de faire de nous des Allemands. Ce n’est que d’un grand empereur slave que peut nous venir la délivrance. »

Ce qui rapproche le plus de la Russie ses voisins slaves, c’est, sans nul doute, la haine de l’Allemagne. Seule, la Russie se montre à eux comme pouvant les venger des maux qu’ils souffrent. Seule, la Russie, ennemie mortelle de la nationalité allemande, la contremine partout. Tandis que l’Autriche et la Prusse font tous leurs efforts pour germaniser leurs provinces slaves, le cabinet de Pétersbourg, comme par représailles, rassise de plus en plus ses provinces allemandes d’Esthonie, de Courlande et de Livonie. Le schisme gréco-russe vient de conquérir en Livonie un si grand nombre de villages, que le saint-synode ne petit trouver assez de popes pour occuper les cures abandonnées par leurs pasteurs protestans. Ces conversions officielles menacent de prendre encore une plus grande extension en Courlande et en Esthonie. Protecteur fanatique de quiconque reconnaît son autocratie religieuse, plein de défiance et de haine contre ceux des nobles de son empire qui obéissent aux prescriptions liturgiques de Luther ou du pape, le tsar s’efforce, en revanche, de se donner pour le père des paysans. Il se montre surtout jaloux de ce titre dans les provinces allemandes et polonaises, et parmi les populations nouvellement converties au schisme. L’émotion causée dans l’Allemagne du nord par ces conversions si nombreuses a décidé la noblesse de Livonie à réclamer pour les provinces baltiques le maintien du protestantisme, comme faisant partie inhérente