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Parmi les slavistes purement littéraires se distinguent les savans bohêmes. Armés de toute la supériorité d’érudition qu’ils doivent à leur éducation allemande, ils comparent sans cesse entre elles les littératures, les nations slaves, et s’efforcent ainsi d’opérer un rapprochement de plus en plus désirable entre leurs frères de race. Les écrivains russes et polonais s’accusent sans cesse de partialité et se refusent toute confiance ; ils écoutent au contraire, sans aucun soupçon préconçu, la parole du savant bohême, qui, n’étant pas, comme le Russe, juge et partie, offre des gages d’une plus saine appréciation. De tous les moyens imaginés par les érudits bohêmes pour rapprocher entre eux les différens peuples slaves, le plus notable, le plus efficace, est celui que Kollar et Chafarjik ont désigné par le nom de vzaimnost (réciprocité). Conçu comme système d’action, le vzaimnost n’est pas autre chose qu’une espèce de panslavisme dans l’ordre linguistique et intellectuel. Ce panslavisme des savans, qu’il faut examiner d’abord, nous mènera comme un fil conducteur au panslavisme des peuples.

S’étant réveillée, au commencement de ce siècle, d’un long assoupissement, la nationalité bohême, après avoir tenté de se créer par ses seules forces une littérature indigène, ne tarda pas à s’apercevoir qu’elle n’était plus en état de développer le génie de sa propre langue, ni même de la conserver dans sa pureté individuelle, sans s’aider de la connaissance et du concours des autres idiomes slaves. C’est ainsi qu’on arriva peu à peu à se convaincre que les quatre langues slaves forment ensemble un groupe indivisible, et que leur isolement les a seul empêchées, durant tant de siècles, d’arriver à un état florissant. Tout en reconnaissant comme nécessaire le développement propre et individuel, l’existence séparée de chacune de ces quatre littératures, on chercha donc à établir entre elles des relations de famille, une espèce de solidarité intellectuelle, d’après laquelle les progrès, les conquêtes accomplis par chaque langue slave devraient tourner à l’avantage des autres.

Il est remarquable que la contrée où ce panslavisme littéraire et contemporain rencontra dès sa naissance le plus de prosélytes fut cette même Slovaquie où le premier panslavisme qui ait existé, le panslavisme religieux des apôtres Cyrille et Méthode, fondateurs de la liturgie slave, avait trouvé dès le IXe siècle ses plus zélés défenseurs. Le dialecte des Slovaques tient une espèce de milieu entre les dialectes slaves, à peu près comme les Karpathes, que ce peuple habite, forment le centre, la citadelle, le nid primitif de la race. On comprend donc que les Slovaques de Hongrie aient saisi les premiers, et avec le plus d’ardeur, l’idée du panslavisme littéraire ou de la solidarité intellectuelle entre les diverses nations slaves. Ce fut peu de temps après 1815 que les premiers germes de ce panslavisme furent jetés dans les esprits. À cette époque, Varsovie, Vilna, Pétersbourg, voyaient se former des sociétés