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effet, il n’y a plus actuellement peut-être une seule ville slave où ne se trouvent des lecteurs assidus des ouvrages polonais, tandis que la littérature officielle de la Russie demeure inconnue très souvent aux Russes eux-mêmes.

Envisagé au point de vue purement philologique, le polonais a quelque chose à la fois du grec ancien et du français. Il se prête avec une égale aisance à l’expression des sentimens les plus tendres et aux mouvemens oratoires les plus impétueux. Pour la grace, la mélodie, la force des pensées, les Discours parlementaires de Stanislas Potocki pourraient soutenir le parallèle avec ceux de nos plus grands orateurs. Les Discours funèbres de l’évêque Jean Voronicz rivalisent, pour la magnificence du style, avec les Oraisons de Bossuet. En poésie, le polonais présente des modèles de tout genre. Le défaut de cette langue, c’est d’être en quelque sorte trop savante. Aussi, à force d’atticismes et de finesses de langage, a-t-elle fini par perdre beaucoup de la grandiose et naïve simplicité naturelle aux idiomes slaves.

La langue polonaise se partagea long-temps en trois branches : le mazoure, qui s’étend très avant en Russie ; — le dialecte du royaume ; — celui du grand-duché de Posen et de la Silésie. Observons toutefois que ces différences sont aujourd’hui presque entièrement effacées. Plusieurs dialectes secondaires, étroitement affiliés au polonais, prolongeaient durant le moyen-âge, vers l’Occident, la puissance de la Pologne. Sous le nom général de Vendes, des peuplades d’origine et de mœurs plus ou moins polonaises couvrirent, jusqu’au Xe siècle, les deux rives de l’Elbe, la Saxe avec ses différens duchés, la moitié de la Prusse, le Hanovre, une partie même du Holstein. Les Slaves de la Poméranie et du Mecklenbourg, tout comme ceux de la steppe sablonneuse où s’élève aujourd’hui Berlin, parlaient un dialecte à demi polonais, et formaient plusieurs états indépendans, qui résistèrent, jusqu’au XIIe siècle, à tous les efforts des conquérans germaniques. Enfin, subjugués par l’Allemagne, ils se virent soumis au servage le plus abrutissant, et à des vexations dont il ne leur était possible de se délivrer qu’en renonçant à leur langue et en se faisant allemands. C’est ainsi que les indigènes de la Saxe actuelle sont peu à peu devenus teutons. Les derniers habitans de Leipzig parlant slave moururent vers la fin du XIVe siècle. Adelung, dans un travail sur le style allemand, a tâché de prouver que la finesse de prononciation qui caractérise aujourd’hui les Allemands de la Saxe est due à leur origine slave.

La contrée où l’idiome polono-vende se conserva le plus long-temps fut cet angle du Hanovre environné par la mer et appelé principauté de Lunebourg. Là, séparés de leurs maîtres teutons, les Vendes purent garder leur langue jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Enfin les persécutions civiles des employés allemands parvinrent à consommer l’œuvre