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ou par malice ou par ignorance. D’autres en assez grand nombre, qui n’avaient vu de ce rare génie que les tableaux qui étaient à Paris, ont suspendu leur jugement entre l’opinion des peintres vulgaires et celle que j’ai tâché d’établir en faveur de Rubens, jusqu’à ce qu’ils eussent vu par eux-mêmes si les ouvrages dont je parlais étaient des preuves suffisantes pour justifier tout le bien que je disais de leur auteur… Ils les ont vus aujourd’hui et sont des premiers à parler de lui avec éloge et des plus attachés à son parti. »

Si nous ne sommes point trompé par notre partialité en faveur de Prudhon, nous croyons que les qualités de cet aimable génie sont de celles qui doivent assurer dès à présent sa renommée. Il est même inutile de s’appuyer à cet égard sur ce grand argument auquel rien ne résiste ordinairement aux yeux des contemporains, c’est-à-dire la valeur excessive à laquelle ses ouvrages sont récemment parvenus. On peut aller jusqu’à la trouver exagérée, au moins quant à ce qui concerne des ouvrages faibles signés de lui, pour lesquels on offre encore des prix excessifs. Il n’est pas inutile de dire que le même honneur a été accordé à des contrefaçons et à des copies par suite du caprice des amateurs vulgaires dont le dédain et l’engouement sont également aveugles. Il nous reste à faire des vœux pour que nos collections nationales suivent un peu ce beau mouvement et se montrent à leur tour plus empressées à acquérir et à mettre en lumière un plus grand nombre de productions de Prudhon. Il est peu de cabinets qui ne soient plus riches en estampes gravées d’après ses compositions, ou en tableaux et dessins de sa main, que ne sont le Musée et la Bibliothèque. Dans le premier de ces établissemens, on n’a placé au nombre de ses dessins que deux ou trois pastels ébauchés et pas une de ses compositions caractéristiques, telles que sujets mythologiques, bacchanales, etc., dans lesquelles il excellait. Quant aux deux seules peintures de Prudhon qu’on y voie figurer, bien que l’une d’elles soit son célèbre tableau de la Justice et la Vengeance céleste et l’autre le Christ, son dernier ouvrage, on regrette de n’avoir à juger de son talent que dans des productions qui brillent plutôt par la sévérité du sujet et de la manière que par cette suavité et cette grace qui resteront les caractères particuliers de son talent.


EUGÈNE DELACROIX.