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Vénus. La figure de la déesse fut admirée, il est vrai : elle était parfaitement belle ; mais l’Adonis fut critiqué amèrement, et ces critiques furent sensibles à l’artiste. Les journaux, qui ne pouvaient pas se mêler de beaucoup de choses dans ce temps-là, s’étendirent sur les défauts de l’ouvrage ; ils n’y étaient pas médiocrement portés par l’opinion bien connue de leurs peintres favoris. D’autres tracasseries vinrent enchérir sur ces piqûres. Prudhon avait été choisi pour donner des leçons de peinture à l’impératrice Marie-Louise ; ce poste lui fut envié, et les intrigues qui furent mises en œuvre pour le lui faire retirer n’honorent point la mémoire de ceux qui les employèrent. Peut-être les envieux prêtaient-ils au grand artiste des sentimens semblables à ceux dont ils étaient eux-mêmes animés, et supposaient-ils qu’il ferait servir son influence à nuire à ses ennemis ou à les supplanter. On va voir un exemple du parti que cet homme si simple savait tirer d’un poste envié. Plusieurs peintres ses rivaux avaient été chargés, concurremment avec lui, de faire le portrait de la jeune impératrice. Il n’est pas besoin de dire qu’il était important de montrer du zèle à s’acquitter de cette tâche. Il arriva que ses émules l’avaient achevée depuis long-temps et qu’ils avaient recueilli tout le fruit de leur empressement, que Prudhon en était encore à l’ébauche de sa peinture : non pas qu’il eût apporté à son travail la moindre négligence ; mais, amoureux de la perfection comme à son ordinaire, il mettait à cet ouvrage autant de temps qu’il en fallait pour l’achever de manière à se satisfaire. La même raison lui fit refuser plus tard d’entreprendre le plafond qui décore le grand escalier du Musée. C’eût été un ouvrage capital pour les dimensions, et la place avait de quoi tenter ; mais on lui fixa malheureusement pour l’exécution de ce travail un terme qui ne lui parut pas suffisant, et il renonça à s’en charger.

Suivrons-nous dans cette notice incomplète l’exemple de la plupart des biographes qui sont bien plutôt de purs panégyristes des hommes célèbres dont ils entreprennent de décrire les actions ou les ouvrages ? Amoureux de leurs héros, ils admirent tout indistinctement, ils louent tout pour faire contre-poids au blâme ou aux critiques de ceux que ces hommes remarquables ont eus pour adversaires. Ils commettent la plus grande injustice avec la meilleure intention du monde. En admirant sans raison les parties faibles, ils rabaissent nécessairement celles qui méritent l’admiration. Il est inutile de parler des défauts qui ont été reprochés à Prudhon par ses contemporains et par ses rivaux. Ces reproches éternels de convention et de manière sont de ceux qu’on a adressés de tout temps aux artistes qui sortaient de la manière et de la convention reçues. Écoutons la remarque d’un homme qui a écrit sur lui quelque temps après sa mort, et qui se montre d’ailleurs son partisan déclaré « Les critiques qu’on fit de ses ouvrages, dit-il, semblent avoir quelque