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un tombeau pour en tirer des trésors ; sous ses pieds, et lui servant comme de marche-pied, se débat une femme presque étouffée qui presse un enfant contre son sein. Au-dessus du tombeau, et étendue dans une espèce de linceul, une figure de vieillard penche la tête sur cette scène impie et la contemple sans s’émouvoir. Un autre cadre de la longueur du petit doigt présente la scène suivante : une divinité farouche siège sur un trône qui est lui-même un composé de figures accroupies et dans l’attitude de la souffrance. Au pied de ce trône ou plutôt de ce sinistre piédestal, une jeune femme, prosternée sur le sol, la tête cachée dans la poussière, semble implorer convulsivement cette idole sourde et cruelle. Dans le fond vague et obscur, on voit s’agiter des génies. Tout le monde connaît sa charmante composition de Phrosine et Mélidor, dont l’eau-forte a été gravée de sa main. Cette invention seule le place à côté du Corrége.

Enfin parut en 1808 le tableau de la Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime. C’est l’ouvrage le plus important de Prudhon. Dans cette composition, le mélange des caractères vigoureux et des beautés touchantes se présentait avec tous les avantages possibles la franchise de l’effet, la décision des lignes, tout y est frappant et attachant. Ce fut un rude coup pour ses adversaires et un objet de surprise pour cette masse inhabile qui, incapable par elle-même de porter un jugement quelconque, est toujours disposée à s’en rapporter à celui de la haine. Napoléon, supérieur aux cabales et frappé de l’excellence de l’ouvrage, donna au peintre la décoration. Accordée spontanément par l’empereur et à cette époque féconde en miracles, cette distinction était immense ; elle tirait à l’instant de la foule des artistes et plaçait au premier rang un homme presque obscur la veille. Ses ennemis, et il comptait dans ce nombre tous les peintres, lui reprochèrent d’avoir peint le Crime avec des traits trop repoussans ; à leur gré, il eût fallu de la grace jusque dans la figure du brigand teint de sang, marchant sur l’innocente victime dont il emporte les dépouilles.

On l’avait chargé peu de temps auparavant de peindre un tableau destiné à orner les salles de l’Université, et qui devait être de grande dimension. Le dessin composé à cet effet existe encore ; c’est une pensée analogue à celle de l’école d’Athènes : les diverses facultés y sont représentées avec leurs emblèmes respectifs. Il est difficile de connaître précisément la raison qui empêcha Prudhon de donner suite à ce projet. Il était souffrant à cette époque et sans doute mal disposé pour une vaste entreprise. Peut-être, à l’aspect de cette grande toile toute prête pour recevoir son idée, manqua-t-il de confiance ; peut-être fallait-il, pour le confirmer dans le sentiment de sa force, le succès de son tableau de la Justice et la Vengeance divine.

Ce dernier ouvrage avait été commandé à Prudhon par le préfet de