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des forces supérieures, essayait en vain, par des combinaisons toujours incomprises, de remédier aux fausses manœuvres qui l’obligeaient à combattre malgré lui. « L’insubordination de plusieurs capitaines, écrivait-il au ministre de la marine, et l’ignorance extrême de quelques autres rendirent nulles toutes mes mesures, et mon cœur fut navré des malheurs que je présageai dès ce moment. » Presque à la même époque, le représentant du peuple Letourneur de la Manche, envoyé en mission près de l’amiral Martin, faisait entendre les mêmes plaintes. « Les équipages, disait-il après le combat dans lequel avaient succombé le Censeur et le Ça ira, les équipages se sont conduits avec une intrépidité peu commune, et je suis convaincu que ce revers, dont ils ont été eux-mêmes à portée d’apprécier les causes, ne fera qu’ajouter à leur énergie. Il y a beaucoup de bonne volonté parmi les officiers, mais je ne puis vous dissimuler qu’elle n’est soutenue ni par l’expérience ni par une capacité suffisante, au moins pour la plupart. »

Les deux engagemens de l’île de Groix et des îles d’Hyères terminèrent presque en même temps, dans l’Océan et dans la Méditerranée, la campagne de 1795. Cette campagne avait laissé de nouveaux vides dans les rangs déjà si éclaircis de nos escadres. Six vaisseaux étaient restés au pouvoir de l’ennemi, quatre vaisseaux avaient péri dans la désastreuse sortie de l’amiral Villaret ; mais le contre-amiral Richery reprenait le vaisseau le Censeur sous le cap Saint-Vincent, et deux vaisseaux anglais, l’Alexander, capturé par le contre-amiral Nielly, le Berwick, enlevé par les frégates de l’amiral Martin, pouvaient compenser la prise de deux de nos vaisseaux et occuper la place qu’ils avaient laissée vacante. D’importuns événemens nous rendaient d’ailleurs ces nouvelles pertes moins sensibles : le 5 avril, la paix avait été signée avec la Prusse ; le 16 mai, la Hollande s’unissait avec nous contre l’Angleterre, et l’Espagne allait bientôt suivre son exemple. Les plus grands dangers étaient donc passés, et la révolution ne pouvait plus douter du succès de sa cause. De sublimes efforts avaient préparé ce triomphe ; d’immenses sacrifices en avaient déjà payé le prix. Notre marine surtout avait cruellement souffert dans cette lutte inégale, car elle avait perdu 33 vaisseaux depuis le commencement de la guerre. De ces 33 vaisseaux, nos discordes civiles en avaient livré 13 à l’ennemi ; la triste nécessité d’expéditions hâtives et mal conçues en avait livré 7 aux rigueurs de l’hiver ; l’Angleterre avait conquis le reste sur le champ de bataille.

Cette période de décadence, malgré les atteintes profondes qu’elle avait portées à notre avenir maritime, ne renfermait point cependant de journée qu’on pût dire plus funeste à nos armes que le malheureux combat soutenu par M. de Grasse, en 1782, dans le canal de la Dominique. Les vaisseaux anglais étaient déjà mieux exercés que les nôtres ; mais nulle part, à cette époque, on ne trouve exprimé le