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Que l’on compare cette magnifique défense avec celle du Berwick, capturé quelques jours auparavant par l’escadre française après avoir perdu un seul homme, son capitaine, et avoir eu quatre matelots blessés, et l’on pourra juger si en effet, comme on l’a voulu dire, dans nos derniers combats, c’est la persévérance qui nous a manqué. Les Anglais, nous en pouvons éprouver un juste sentiment d’orgueil, ont bien peu d’actions de guerre dont on puisse comparer l’héroïsme à la noble résistance de ces deux vaisseaux, à la défense du Guillaume Tell, célèbre dans les deux marines, à celle du Vengeur ou du Redoutable ; mais il faut dire à leur gloire (et on peut apprécier par là l’influence qu’exerçaient sur leurs escadres des institutions plus fortes, l’habitude de la soumission aux signaux de l’amiral et la crainte de cette opinion publique qui avait déjà sacrifié le malheureux Byng à ses exigences) ; il faut dire que, si l’escadre de l’amiral Hotham se fût trouvée le 7 mars à portée de secourir le Berwick, ce vaisseau n’eût probablement point été abandonné sur le champ de bataille, comme furent abandonnés le Censeur et le Ça ira. Ce triste résultat ne saurait du reste être imputé sans injustice à l’amiral Martin. Il avait signalé la seule manœuvre qui pût sauver ses deux vaisseaux compromis, et il y eût probablement réussi, si son pavillon, au lieu de flotter à bord d’une frégate, eût été arboré à bord d’un des vaisseaux engagés, et si, au lieu d’avoir à signaler à ses capitaines de se porter au feu, il eût eu la liberté, comme Nelson et Collingwood à Trafalgar, de les y conduire lui-même ; mais les instructions du gouvernement étaient alors positives. Au moment du combat, l’amiral devait quitter son vaisseau et monter à bord d’une des frégates de l’escadre. Cette détestable disposition avait été adoptée en France depuis que le comte de Grasse avait été capturé sur la Ville de Paris par la flotte de lord Rodney, et il en résultait que deux des plus braves officiers-généraux de notre marine, dont l’exemple eût suffi pour entraîner leurs capitaines, l’amiral Martin et l’amiral Villaret-Joyeuse, se voyaient à la même époque, l’un devant Gênes, l’autre devant l’île de Groix, obligés de rester spectateurs désespérés de la mollesse et des fausses manœuvres de leurs vaisseaux. À Trafalgar aussi, on pressait Nelson de passer à bord d’une frégate, afin de se mettre à portée de mieux juger des événemens et de transmettre plus facilement ses ordres ; mais à ces sollicitations et aux raisons dont on les appuyait il répondit que rien dans un combat ne valait la force de l’exemple, et, sans vouloir même permettre qu’un autre vaisseau passât devant le sien, il conserva, à la tête de sa colonne, le poste périlleux qu’avait choisi son courage.

À la suite du combat du 14 mars 1795, les deux escadres se trouvèrent également affaiblies. Les Anglais nous avaient, il est vrai, enlevé deux vaisseaux ; mais ils ne purent jamais parvenir à réparer le Ça ira ;