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au nom de Louis XVII ; mais il n’y eut pas un officier anglais qui se méprît sur la valeur d’un pareil engagement, et Nelson fut des premiers à remarquer qu’il ne faudrait pas une heure pour brûler la flotte française. Cette flotte échappa en partie à l’incendie dans lequel les Anglais avaient voulu l’envelopper tout entière. Ils avaient trouvé à Toulon 58 bâtimens ; 25 retombèrent entre les mains de la France. Cet événement cependant, si l’on ne considère que le dommage matériel, fut plus fatal à notre marine que ne l’avaient été les combats réunis de M. de Grasse et du 13 prairial, plus fatal même que le combat d’Aboukir, car la perte que nous supportâmes en cette occasion s’éleva à 13 vaisseaux et 9 frégates. 9 de ces vaisseaux furent brûlés par Sidney Smith, 3 bâtimens furent emmenés par les Sardes et les Espagnols, et 4 vaisseaux suivirent avec 6 frégates l’escadre anglaise au moment où elle se retira aux îles d’Hyères.

En Angleterre, l’opinion publique fut loin d’être satisfaite de ce résultat : elle reprocha vivement à lord Hood, non point ce qui a souillé son nom, d’avoir ajouté les horreurs de cet effroyable incendie à toutes les horreurs d’une évacuation précipitée, mais d’avoir trop attendu pour s’y résoudre, et d’avoir ainsi laissé son œuvre de destruction incomplète. On se demandait pourquoi, à peine maître des forts, il ne s’était point occupé d’expédier dans les ports anglais cette belle flotte remise en son pouvoir, pourquoi du moins il n’avait pas pris à l’avance de telles mesures, qu’aucun de nos vaisseaux ne pût échapper à l’incendie, quand une évacuation, depuis long-temps prévue, serait devenue inévitable.

Heureusement pour la France, lord Hood n’était point entré seul à Toulon. En même temps qu’il jetait l’ancre dans cette rade, une flotte espagnole, composée de 17 vaisseaux, y mouillait aussi, et don Juan de Langara, qui la commandait, don Juan de Langara, l’ancien prisonnier de Rodney[1], s’empressait de déclarer que Toulon n’était point, comme lord Hood semblait disposé à le croire, un port virtuellement anglais, mais un dépôt confié à l’honneur de l’Espagne aussi bien qu’à celui de l’Angleterre. Après avoir mouillé ses vaisseaux de manière à battre de la façon la plus favorable les vaisseaux anglais affaiblis en nombre par

  1. L’amiral don Juan de Langara, né vers 1730, d’une famille noble de l’Andalousie, combattit le 16 janvier 1780, avec 14 vaisseaux espagnols, l’amiral Rodney, qui, à la tête de 22 vaisseaux de ligne, voulait ravitailler Gibraltar. Un de ses vaisseaux sauta en l’air, 6 furent pris, et lui-même fut fait prisonnier après avoir reçu trois blessures. En récompense de sa conduite héroïque pendant ce combat, Charles III le nomma lieutenant-général. Après la paix de Bâle, il fut chargé du commandement de la flotte de Cadix, conduisit cette flotte à Toulon, et obligea ainsi les Anglais à évacuer la Corse et la Méditerranée. Au retour de cette expédition, il se rendit à Madrid, où il succéda, au mois de janvier 1797, à don Pedro Varela de Ulloa dans le ministère de la marine. En 1798, il quitta ce ministère, et mourut en 1800 avec le grade de capitaine-général.