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rebut, des chanvres de qualité inférieure, l’habitude des longs blocus, la pratique constante de la mer, apprenaient à nos ennemis à adopter les proportions les plus convenables, les précautions les mieux entendues pour donner à leurs mâtures la solidité qui leur avait manqué jusque-là. De ce côté, leurs navires eurent bientôt gagné tout ce que nos bâtimens perdirent par suite de notre détresse et de notre négligence. Il nous restait des navires plus vastes et auxquels des lignes d’eau plus habilement calculées assuraient une marche supérieure. Les chances de la guerre en mirent quelques-uns entre les mains des Anglais, qui s’empressèrent de les réparer et de les imiter. Leur marine s’enrichit ainsi de bâtimens qui, construits sur les mêmes plans que les nôtres, mais armés avec plus de soin et de connaissance des exigences de la mer, loin d’avoir rien à envier à leurs modèles, eurent sur eux une très grande supériorité dans les navigations difficiles et rigoureuses. Le Commerce de Marseille, qui avait porté le pavillon du vice-amiral Truguet et celui du contre-amiral Trogoff, ce superbe trois-ponts, dont le tonnage dépassait de près de 500 tonneaux celui du Victory, conduit de Toulon à Portsmouth, y resta pour servir de leçon aux constructeurs anglais, comme le Pompée de 74, également enlevé à Toulon, comme plus tard le Tonnant et le Franklin, vaisseaux de 80 canons, capturés tous deux à Aboukir, et qui, à cette époque, n’avaient leurs pareils dans aucune marine du monde.

D’ailleurs, malgré l’espèce d’équilibre qui existait en 1793 entre les deux marines, équilibre, il est vrai, que l’adjonction des marines espagnole, hollandaise, portugaise et napolitaine à la marine anglaise[1] eût suffi pour détruire, la guerre était à peine commencée, qu’il fut facile d’en prévoir l’issue. Dans un temps où tous les liens sociaux se trouvaient relâchés, il y aurait eu, en effet, folie à espérer à bord de nos navires le maintien de cette obéissance passive et de ce respect hiérarchique, seuls fondemens possibles d’une bonne discipline. Les équipages de la flotte mouillée dans la baie de Quiberon furent les premiers à donner l’exemple de ces dangereuses séditions qui devaient se renouveler plusieurs fois à bord des vaisseaux de la république : ils obligèrent l’amiral Morard de Galles à ramener la flotte à Brest, et ne rentrèrent dans l’ordre que lorsqu’une partie des mutins eut été envoyée aux armées et remplacée par des levées de pêcheurs et de conscrits. La perte de ces vieux matelots était moins regrettable encore

  1. La Hollande possédait une force nominale de 49 vaisseaux de ligne, dont la plupart ne portaient que 64 et 54 canons et étaient déjà en très mauvais état. L’Espagne, sur 204 navires, comptait 76 vaisseaux et en avait 56 d’armés. Le Portugal promettait de fournir à la coalition 6 beaux vaisseaux bien équipés et montés en partie par des officiers anglais. Le roi de Naples s’engageait à mettre à la disposition du commandant de la flotte anglaise dans la Méditerranée 4 vaisseaux de 74 et un corps de 6,000 hommes.