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opposition entre le spectacle de cette lutte ardente et celui qu’on avait tout à l’heure sous les yeux ! Au lieu de ces jeunes nobles qui se battaient en riant, deux peuples acharnés à se détruire ; au lieu de cette humeur belliqueuse et sans fiel, un sentiment profond et opiniâtre, signe précurseur des grandes guerres. A voir les masses que ce zèle fanatique soulève et pousse à l’ennemi, on peut pressentir que l’ancienne stratégie va se trouver insuffisante pour de telles passions et pour de tels combats. Les passes brillantes, les évolutions circonspectes de l’ancienne tactique ne conviennent qu’à des ennemis qui ont plus de sang-froid et moins de haine. La stratégie navale se transforme donc sous l’inspiration de Nelson, au moment même où cette transformation est devenue pour ainsi dire un besoin des esprits et de la nouvelle lutte qui vient de s’ouvrir. Pourquoi, dans ces engagemens désespérés qui convenaient si bien à notre courage, le sort trahit-il si constamment notre zèle et nos efforts ? Pourquoi tant de dévouement et tant de désastres, pourquoi tant d’intrépidité et de si tristes résultats ? Une étude sincère et approfondie de cette guerre malheureuse pourra seule nous l’apprendre, mais il importe de constater avant tout, en marchant ; cette fois encore, sur les pas de Nelson, dans quelle position relative la reprise des hostilités trouva les deux marines.

Lord Hood, que Nelson suivit dans la Méditerranée, était, à cette époque, l’officier-général le plus distingué qui se fût formé dans la guerre d’Amérique. Après avoir croisé, pendant quinze jours, à la hauteur des îles Scilly pour y attendre le convoi de l’Inde, il fit route vers le détroit de Gibraltar avec 11 vaisseaux et quelques frégates. Réuni aux divisions qui l’avaient précédé dans la Méditerranée, cet amiral se trouva devant Toulon, vers le milieu du mois d’août 1793, à la tête de 21 vaisseaux de ligne. Nous en avions alors, dans ce port, 17 prêts à prendre la mer, sous le commandement de l’amiral Trogoff : 4 autres y étaient en armement, 9 en réparation et 1 en construction. En y comprenant divers détachemens envoyés à Tunis, en Corse et sur la côte d’Italie, nos forces se montaient dans la Méditerranée, au montent où lord Hood y parut avec son escadre, à 32 vaisseaux, 27 frégates et 16 bricks ou corvettes, dont plus de la moitié pouvait mettre sous voiles au premier signal. Dans les ports de l’Océan, la défense et l’attaque semblaient prendre des proportions plus formidables encore. Pendant que l’Angleterre rassemblait, sous les ordres de lord Howe, l’ancien adversaire du comte d’Estaing sur les côtes d’Amérique, une flotte destinée à croiser à l’entrée de la Manche, nous avions déjà, de notre côté, réuni 21 vaisseaux de ligne que l’amiral Morard de Galles avait conduits dans la baie de Quiberon. Cette escadre devait surveiller le littoral de la Vendée et protéger en même temps le retour du contre-amiral Sercey, qui, avec 4 vaisseaux et quelques corvettes,