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qui allait s’engager entre deux puissances destinées à se disputer le monde ; oubliant soudain ses rancunes et ses mécontentemens, il s’empressa de renouveler ses instances auprès de lord Chatham et de réclamer avec plus d’énergie que jamais un commandement qui lui permît de prendre, dès le principe, à cette nouvelle guerre la part qui convenait à son courage et à son dévouement. Ses démarches cette fois furent favorablement accueillies, et, le 30 janvier 1793, il prit le commandement de l’Agamemnon.

Cinq années d’un repos involontaire avaient amassé chez lui une impatience et un besoin d’agir qu’il comprimait à peine. Il était alors dans la force de l’âge, signalé par l’opinion publique comme un des premiers officiers du corps de la marine, et si avide de gloire, que l’occasion d’en acquérir ne pouvait lui manquer dans l’arène où l’Angleterre et la France descendaient pour la seconde fois. Son premier soin fut de se composer un équipage. Nous avons vu que ce n’était point chose facile alors ; mais, grace à son activité et aussi à son bon renom, car les matelots anglais ne s’engagent point indifféremment avec tous les capitaines, Nelson, rêvant déjà fortune et honneurs, combats et parts de prises, eut bientôt rassemblé, pour l’armement de l’Agamemnon, un personnel dont la seule vue le remplissait de joie et d’espérance. « J’ai sous les pieds, écrivait-il à son frère, le plus beau vaisseau de 64 canons que possède l’Angleterre ; mes officiers sont tous gens de mérite, mon équipage est vaillant et plein de santé. Que m’importe donc le point du globe sur lequel on m’enverra ? » Heureusement pour sa gloire future, ce fut vers la Méditerranée qu’on le dirigea. Cette station devait devenir plus tard, sous sir John Jervis, la meilleure école de la marine anglaise, et Nelson, destiné à y passer désormais la plus grande partie de sa carrière, allait y acquérir, pendant quatre années de croisière active, les connaissances spéciales qui devaient le désigner un jour au commandement de l’escadre d’Aboukir.


IV.

Quand, après avoir étudié la guerre de 1778, on arrive à s’occuper de celle qui l’a suivie, il est impossible de ne.point éprouver une certaine surprise, une espèce de sensation singulière et indéfinissable, comme en produirait un changement soudain de température et de climat. Ces deux périodes, en effet, sont presque contiguës dans l’histoire : dix années de paix les unissent et semblent les confondre ; mais au point de soudure il s’est formé un angle inattendu, un coude subit et brusque qu’on ne peut franchir sans se trouver tout à coup transporté sous un autre ciel. L’aspect de la scène a tellement changé, qu’on hésite à croire que ce soient bien les mêmes nations qui l’occupent encore. Quelle