Qui pourra nous résister ? L’idée du siècle n’est-elle pas incarnée en nous ?
Je veux le voir, le regarder dans les yeux, pénétrer au fond de son cœur ; je veux qu’il vienne à nous, qu’il mette bas son orgueil.
Un aristocrate renforcé…
Mais poète en même temps. -Maintenant j’ai besoin d’être seul ; laisse-moi.
Vous m’avez donc pardonné, citoyen ?
Dors sur les deux oreilles ; si je ne t’avais pas pardonné, tu te serais endormi déjà pour l’éternité.
Il n’y aura rien pour demain ?
Bonne nuit, et d’heureux songes. (Léonard sort.) Holà ! Léonard…
Que voulez-vous, citoyen généralissime ?
Après-demain dans la nuit, tu viendras avec moi chez le comte Henri.
Bien. (Il sort.)
Comment se fait-il que cet homme seul ose me résister, à moi, chef de tant de milliers d’hommes ? Ses forces sont nulles en comparaison des miennes. Quelques centaines de paysans le suivent, lui sont dévoués, croient en lui, c’est-à-dire qu’ils ont pour lui l’attachement instinctif des animaux domestiques. Tout cela n’est rien, moins que rien ; mais pourquoi ai-je voulu le voir, l’entretenir ? mon esprit aurait-il rencontré pour la première fois son rival ? C’est pourtant le dernier obstacle à vaincre, il faut le renverser, et puis après… ah ! ma pensée, tu ne réussis pas à te tromper comme tu trompes les autres. Quelle honte ! tu es pourtant la pensée du peuple, le souverain maître du peuple ; c’est en toi seul que se résume et s’incarne la puissance de tous. Ce qui serait un crime pour d’autres, pour toi est une perfection. Tu as donné des noms à des êtres vils, à des hommes inconnus, tu as donné une voix à des êtres bruts privés de tout sentiment moral. Autour de toi tu as créé un monde à ton image, et tu t’égarerais. Eh quoi ! tu marches sans savoir qui tu es ! Non, cent fois non, car tu es sublime. (Abîmé dans ses réflexions, il tombe sur une chaise.)
Rappelle-toi.