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le piége où tendaient ces subtilités diplomatiques. A peine l’ambassadeur français, M. de Chauvelin, eut-il reçu, comme représentant d’un pouvoir régicide, l’ordre de quitter l’Angleterre dans le délai de huit jours, que, refusant de poursuivre les négociations entamées pour le maintien de la paix, la république offensée prit elle-même l’initiative d’une collision devenue inévitable ; elle déclara, le 1er février 1793, la guerre à l’Angleterre et à la Hollande. Le commerce anglais se trouva mis à découvert par cette conduite audacieuse : l’embargo réciproque par lequel les deux nations avaient préludé à l’ouverture d’hostilités plus directes lui avait coûté 70 navires. Il éprouva des pertes plus sérieuses encore avant que l’amirauté eût pu rassembler des forces suffisantes pour le protéger contre nos frégates et nos nombreux corsaires. L’amirauté, en effet, ne pouvait songer à détacher des bâtimens isolés pour éloigner de la Manche ces intrépides croiseurs qu’après avoir pourvu à un soin plus pressant et réuni les moyens de couvrir le retour des convois de l’Inde, de Terre-Neuve, du Levant et des Antilles contre les entreprises de nos escadres. L’armement des deux flottes de la Méditerranée et de la Manche, destinées à contenir celles que l’on savait rassemblées à Brest et à Toulon, devait donc dominer les préoccupations de tout genre de l’amirauté britannique. Toutefois elle ne serait point parvenue à compléter ces deux grands armemens, si elle ne se fût résignée à armer ses vaisseaux, comme nous armons encore les nôtres, avec une proportion considérable d’hommes pris en dehors des professions maritimes. En cette occasion, le capitaine Edward Pellew, qui vers la fin de la guerre fut élevé à la pairie sous le nom de lord Exmouth, fit preuve d’un discernement qui pourrait nous servir de leçon. Parmi les hommes étrangers au métier de la mer dont il dut composer l’équipage de la frégate la Nymphe, il choisit de préférence des mineurs de Cornouailles[1], comme nous pourrions choisir des couvreurs ou des maçons, jugeant que ceux-ci seraient mieux préparés que d’autres par les dangers habituels de leur profession aux périlleux exercices qui les attendaient dans leurs fonctions improvisées. L’introduction de ce nouvel élément dans les rangs de la flotte ne pouvait cependant suffire à la gravité des circonstances, et le gouvernement anglais se vit bientôt contraint d’avoir recours à un de ces moyens extrêmes qui ne sauraient se justifier que par la plus absolue nécessité. Le bill de presse fut promulgué. Il n’existe en Angleterre aucune loi de recrutement forcé pour subvenir aux besoins de l’armée et de la marine. Les équipages des vaisseaux anglais ne sont formés, en temps ordinaire, que par la voie d’engagemens volontaires dont la durée se prolonge rarement au-delà de trois ans, et tout capitaine pourvu d’un commandement

  1. Lord Exmouth’s life, by Osler.