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L’Angleterre, en cette occasion, entreprit de prévenir le démembrement de l’empire ottoman, que les succès de la Russie avaient rendu imminent, et, résolue à réconcilier cette puissance, de gré ou de force, avec la Sublime-Porte, elle se hâta d’augmenter encore ses armemens. Ainsi, par une singulière coïncidence, c’était déjà à la faveur de questions qui, de nos jours, n’ont rien perdu de leur gravité, que l’Angleterre préparait en silence le prodigieux développement de sa marine, et tendait à la placer, par ces soins consfans et cette prévoyance soutenue, au-dessus des atteintes de la fortune.

Grace aux préparatifs dont ses différends avec l’Espagne et la Russie avaient été l’occasion, elle possédait, au moment où éclata la guerre de 1793, 87 vaisseaux de ligne à flot, dont plus de 60 étaient en état de prendre immédiatement la mer. D’après le plan de sir Charles Middleton, alors contrôleur de la marine, et qui fut depuis, sous le nom de lord Barham, premier lord de l’amirauté, on avait, dès la fin des hostilités en 1783, disposé séparément, pour chaque vaisseau en état de naviguer, la plus grande partie de son matériel complet d’armement, organisant ainsi pour la première fois ces magasins particuliers qui, de tout temps, ont été comptés parmi les mesures de prévoyance les plus efficaces. Des approvisionnemens de toute espèce avaient en outre été réunis dans les arsenaux, et les précautions se trouvaient si bien prises pour le prompt équipement de la flotte, que, quelques semaines après que l’ordre d’armer fut parvenu dans les ports, le nombre des vaisseaux de ligne se trouva, comme par enchantement, porté de 26 à 54, et le nombre total des bâtimens prêts à mettre sous voiles de 136 à 200. 45,000 matelots et soldats de marine durent former les équipages de ces premiers armemens. C’était peu demander à une population maritime qui, dix ans auparavant, avait fourni 110,000 matelots à l’Angleterre, et qui s’était considérablement accrue depuis cette époque ; mais, dispersée, comme elle l’était, sur tous les points du globe, cette population était loin de constituer, au début de la guerre, une force réelle et disponible. Les difficultés qu’éprouva à cette époque l’amirauté pour former ces premiers équipages se sont représentées en 1840 ; elles se représenteront toutes les fois que l’Angleterre se trouvera obligée de faire face à des embarras imprévus, et laisseront toujours à un ennemi actif et entreprenant le bénéfice de chances très avantageuses pendant les premiers mois de la guerre.

Privé de la plus grande partie de sa population maritime au moment où les événemens amenaient une prise d’armes inattendue, le gouvernement de la Grande-Bretagne dut essayer de faire traîner les négociaiions en longueur, afin de se donner le temps de rappeler dans ses ports cette précieuse armée de matelots et ces mille navires laissés sans protecticn contre les tentatives de l’ennemi ; mais la convention reconnut