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pareille disposition, qui, en 1841, retenait encore dans le grade de capitaine de vaisseau des officiers distingués qui, dès 1806, commandaient des frégates, présente au premier abord quelque chose d’étrange et de choquant. Cependant, avec des cadres illimités comme le sont ceux de la marine anglaise, cette règle a moins d’inconvéniens qu’on ne serait tenté de le croire, et elle offre d’ailleurs d’assez grands avantages pour qu’on hésite long-temps encore à la modifier ou à l’abolir. Outre le prestige qu’elle a nécessairement attaché à ces grandes positions d’un si difficile accès, elle a eu en effet un résultat plus immédiat et plus important. Elle a condamné les penchans ambitieux à une inaction forcée précisément à l’époque de la vie où ils ont coutume de se manifester avec le plus d’énergie, et a introduit ainsi dans le corps de la marine anglaise des habitudes d’honnête camaraderie et de bon vouloir mutuel qui ont puissamment contribué au succès des armes britanniques.

Ce fut un mois avant que Nelson obtînt son premier commandement, et lorsqu’il avait déjà acquis assez de maturité pour apprécier les événemens qui allaient se passer sous ses yeux, que le comte d’Estaing, abandonnant la côte d’Amérique, vint transporter le principal théâtre de la guerre dans la mer des Antilles, où le vice-amiral Byron se hâtait de le suivre. Pendant que des renforts successifs envoyés d’Europe maintenaient sur un pied d’égalité les forces des deux amiraux dans cette partie du monde, un grand événement nous assurait ailleurs une prépondérance qui eût pu devenir funeste à l’Angleterre. La cour de Madrid, vaincue par les instances du gouvernement français, entraînée par l’espoir de reprendre Gibraltar et d’obtenir la restitution de la Jamaïque et des deux Florides, avait enfin secoué son apathie et s’était déclarée en notre faveur. La flotte française, sortie de Brest sous le commandement de M. d’Orvilliers, et la flotte espagnole, sortie du Ferrol, avaient opéré leur jonction, et cette armée, alors composée de soixante-six vaisseaux, après avoir chassé devant elle la flotte ennemie, vint menacer les côtes de l’Angleterre. Ce que l’empereur désira si ardemment quelques années plus tard se trouvait ainsi réalisé. Un mois entier nous fûmes maîtres de l’entrée de la Manche. Quarante mille hommes rassemblés sur les côtes de Bretagne et de Normandie étaient prêts à monter à bord des nombreux transports qui les attendaient, quand cette flotte formidable rentra à Brest sans avoir obtenu aucun résultat, sans avoir intercepté un seul convoi. On s’en prit de cet insuccès à la constance des vents d’est, à un manque de vivres, enfin au scorbut, qui enleva un sixième des équipages. On eût pu en accuser également le désaccord des chefs et y voir un nouvel exemple du peu de confiance que doivent inspirer les coalitions maritimes. Dans la mer des Antilles, au contraire, où la France n’avait à opposer que ses propres vaisseaux à ceux de l’Angleterre, les îles de Saint-Vincent et de la Grenade se