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Louis XVI avait pu, grace à un heureux équilibre maritime, contraindre l’Angleterre à une paix onéreuse et lui imposer le seul traité qui depuis des siècles eût fait reculer son ambition envahissante, ce gouvernement énergique qui disposait en maître de l’Espagne et de la Hollande, qui tenait le continent dans un muet respect et étendait sa domination du Rhin à l’Adriatique, ce gouvernement, paralysé par la mauvaise organisation de ses vaisseaux, devait, jusqu’à son dernier jour, demeurer impuissant vis-à-vis du seul ennemi qui fût resté debout devant sa gloire.

Qu’était donc devenue, en ces temps tout remplis du bruit de nos armes, cette marine que Suffren et d’Estaing, de Guichen et de Grasse lui-même avaient faite si glorieuse, qui avait grandi au milieu d’une guerre acharnée comme au sein d’une paix féconde, et que l’antique monarchie française regardait, depuis Louis XIV, comme l’un de ses plus fermes boulevards ? Par quelle fatalité, de cet établissement naval, si récemment encore l’orgueil de la France et l’envie de l’Europe, ne restait-il plus en 1803 qu’un édifice chancelant et miné à la base, dont l’empire allait voir s’écrouler les derniers débris ? Les événemens qui préparèrent la ruine de notre marine peuvent se partager en trois faisceaux distincts et se grouper pour ainsi dire autour de certains noms. Les combats de lord Howe et de lord Hood, des amiraux Hotham et Bridport, forment le premier acte de ce drame sanglant, et vont se rattacher à la guerre de l’indépendance américaine, dont ils continuent les traditions stratégiques. C’est le temps où la marine française se décompose lentement sous l’action incessante d’un mal intérieur. La seconde période appartient sans contestation à lord Jervis. Cet amiral remporte sur nos alliés une grande et opportune victoire ; le premier, c’est là son véritable titre de gloire, il s’occupe sérieusement de raffermir la discipline ébranlée et d’organiser la marine anglaise. Dans la troisième période, la plus lugubre et la plus éclatante, les soins de lord Jervis ont porté leurs fruits. Nelson fonde avec le glaive la suprématie qu’ils ont préparée. Pendant cette période, de 1798 à 1805, l’histoire du vainqueur d’Aboukir et celle de la marine anglaise ne cessent point un seul instant de se confondre. Nelson remplit la scène, et de la lumière qu’il absorbe, quelques rares rayons peuvent à peine glisser jusqu’à Collingwood.

Aventureux, mais justifiant ses témérités par sa rare intelligence du métier de la mer, comptant pour rien un demi-succès et toujours prêt à courir de grands hasards, parce qu’il n’ambitionnait que de grands avantages, Nelson était vraiment fait pour occuper le premier rang dans cette lutte inégale où l’Angleterre n’opposait que de vieux croiseurs à des armemens exécutés à la hâte. La nature l’avait merveilleusement doué pour conduire au combat des vaisseaux disposés à le