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PANCRACE.

Demain, à l’aube du jour, tu te rendras chez lui ; tu lui diras que je demande à lui parler en particulier, de nuit, et sans que personne le sache.

LE NÉOPHYTE.

Combien d’hommes me donnerez-vous pour m’accompagner ? Il serait dangereux d’aller seul.

PANCRACE.

Tu partiras tout seul. Mon nom sera ton escorte ; ton appui, le poteau auquel vous avez pendu hier un baron.

LE NÉOPHYTE.

Aïe ! Aïe !

PANCRACE.

Tu lui diras qu’après demain je viendrai chez lui, à minuit.

LE NÉOPHYTE.

Et s’il me fait battre ou enfermer ?

PANCRACE.

Alors tu te seras dévoué pour le peuple, tu seras un martyr de la liberté.

LE NÉOPHYTE.

Tout pour le peuple, tout pour la liberté. (A part.) Aïe ! Aïe !

PANCRACE.

Bonne nuit, citoyen. (Le néophyte sort.)

LÉONARD.

Pourquoi tous ces retards, tous ces demi-moyens ? Que signifient ces arrangemens, ces entretiens avec un pareil homme, avec ce comte ? Quand je me suis promis de t’admirer, quand j’ai juré de t’écouter, c’est que je te regardais comme le plus grand des héros ; je voyais en toi un aigle volant droit au but, un homme résolu, jouant sur une seule et même carte, et d’un seul coup, sa vie et celle de tous les siens.

PANCRACE.

Tais-toi, enfant.

LÉONARD.

Tous sont prêts. Les néophytes ont fini de forger les armes et de tresser nos cordes ; les sections, les troupes, demandent un ordre. Donne un ordre, et, pareils à la foudre, ils se précipiteront, renversant et brisant tout.

PANCRACE.

Tu es jeune, et le sang te monte au cerveau. Ne sachant pas te contenir, tu prends tout cela pour de l’enthousiasme.

LÉONARD.

As-tu bien réfléchi ? Les aristocrates, sans espoir, réduits à leur propre impuissance, se sont renfermés dans les remparts de la Sainte-Trinité ; là, ils attendent notre armée, comme le patient attend le couteau de la guillotine suspendu sur sa tête. Maître, ne diffère pas plus long temps ; en avant, et tombons sur eux.

PANCRACE.

Qu’importe ! Avons-nous besoin de nous presser ? Leurs forces physiques sort usées par les plaisirs, leurs forces morales par la paresse ; et, que ce soit demain ou après demain, peu importe ! ils sont certains de succomber.