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ne paraissaient inexacts que parce qu’on ne savait pas toutes les causes de ces irrégularités, en d’autres termes, parce qu’on ne connaissait pas tous les corps célestes qui peuvent influer sur la marche d’Uranus. Un aperçu de Kepler, au sujet des distances des planètes au soleil, reproduit depuis sous un aspect plus géométrique, et qu’on appelle habituellement la loi de Bode, avait porté quelques astronomes à annoncer qu’il existait probablement une nouvelle planète au-delà d’Uranus à une distance du soleil presque double de celle à laquelle l’astre découvert par Herschell est placé, et qu’elle devait faire le tour du ciel en deux cent quarante-trois ans à peu près.

C’est dans cet état de choses que M. Le Verrier a trouvé la question. Après avoir inutilement essayé, en poussant les approximations plus loin que ses devanciers, de faire disparaître ces anomalies, il a résolument abordé la difficulté, et, traitant comme un être réel la planète hypothétique dont on avait parlé à plusieurs reprises, il s’est dit : Si cette planète existait dans un point donné de l’espace, elle exercerait sur Uranus une action qui se révélerait par certaines inégalités dans la marche de cet astre ; cherchons donc à quelle distance du soleil il faudrait la placer, quelles devraient être sa masse et son orbite, afin qu’elle pût produire les irrégularités qu’on a observées. C’était, on le voit, remonter des effets aux causes. Les formules nécessaires pour effectuer une telle recherche existaient, mais les calculs étaient si longs, ils exigeaient tant d’efforts et de persévérance, que peu d’astronomes auraient été tentés de les entreprendre. Ce sera toujours l’honneur de M. Le Verrier d’avoir persisté dans une telle recherche sans se laisser rebuter par aucun obstacle, par aucune difficulté. Dans un temps où chacun aspire à des succès prompts et faciles, ce travail opiniâtre, qui pouvait n’avoir aucun résultat, témoigne à la fois de la constance et du talent de ce jeune et désormais célèbre astronome. Un tel travail méritait une récompense éclatante, et elle ne s’est pas fait attendre long-temps.

A peine les résultats annoncés par M. Le Verrier devant l’Académie des Sciences de Paris avaient-ils eu le temps de parvenir à l’étranger, que M. Galle découvrait à Berlin une planète, précisément à la place assignée par le savant français à l’astre destiné à expliquer les anomalies du mouvement d’Uranus. Des cartes célestes très développées, que les astronomes allemands construisent et dont la dernière, celle qui contient la région du ciel où le nouvel astre est situé, vient de paraître, ont rendu plus facile cette découverte. Il était naturel qu’on recueillît en Allemagne le fruit d’un travail si péniblement préparé ; cependant on aurait tort de croire que ces cartes fussent absolument indispensables pour la prompte vérification de la découverte de M. Le Verrier. Sans posséder la carte céleste qui se trouvait à Berlin, dès le 29 septembre, un astronome anglais avait de son côté observé à Cambridge la nouvelle planète, guidé seulement par les indications si exactes de M. Le Verrier et par l’aspect particulier de cet astre, qui avait attiré de prime abord son attention.

Comme on le voit, c’est par une nouvelle voie que M. Le Verrier est parvenu à découvrir la planète dont on parle tant. Ce n’est pas, comme on l’a dit, parce que sa prédiction s’est avérée, que l’astronome français a fait une chose si neuve et si rare. Guidé par des idées théoriques, Olbers, on vient de le voir, avait déjà déterminé dans le ciel deux points près desquels il annonçait qu’on découvrirait de nouvelles planètes, et l’événement était venu confirmer ses prévisions. C’est