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Après avoir exposé ces faits, M. Guizot demande ce qui serait arrivé, si la cour de Madrid, se confiant à ce langage, eût persisté dans l’offre qu’elle avait faite au prince de Cobourg. N’eût-on pas dit que c’était le libre choix de la reine ? Et l’événement se serait trouvé accompli sans apparence d’appui direct, de coopération active de la part de l’Angleterre.

Dans ces circonstances, le gouvernement français, suivant la déclaration de M. Guizot, a fait appel à la volonté indépendante de la reine Isabelle et de son gouvernement ; il a offert une combinaison différente : c’était son droit, qu’il avait expressément réservé. La reine d’Espagne et son gouvernement ont accepté cette combinaison, à laquelle les cortès ont donné une adhésion unanime. M. le ministre des affaires étrangères repousse avec la plus grande énergie cette étrange accusation de contrainte morale, exercée, suivant lord Palmerston, par l’ambassadeur de France à Madrid, pour forcer la reine à prendre le duc de Cadix pour époux. D’ailleurs ce reproche de contrainte morale n’est-il pas singulier de la part de lord Palmerston, qui demandait naguère au cabinet français d’appuyer exclusivement auprès de la reine Isabelle l’infant D. Enrique, qui était en intimité avec les plus ardens adversaires du gouvernement espagnol ? C’est en pleine liberté que la reine a fait son choix, et qu’elle a donné sa main au fils aîné de François de Paule.

Arrivant au mariage de M. le duc de Montpensier, M. Guizot, pour répondre à la protestation de lord Palmerston, remarque qu’on n’est pas admis à protester contre un fait par le seul motif qu’il ne vous convient pas. Toute protestation doit se rattacher à un droit antérieur. Après cette observation générale, M. le ministre des affaires étrangères rappelle les deux pensées fondamentales du traité d’Utrecht : assurer la couronne d’Espagne à Philippe V et à ses descendans, empêcher à jamais la réunion sur une même tête des deux couronnes d’Espagne et de France. Ces deux effets sont obtenus. M. Guizot ne craint pas de reconnaître la portée politique du mariage de l’infante avec M. le duc de Montpensier ; la couronne d’Espagne ne sortira plus désormais de la maison de Bourbon et des descendans de Philippe V. Il fait observer qu’il serait étrange qu’on prétendit invoquer celle des deux dispositions qui empêche l’union des deux couronnes, et qu’on écartât celle qui assure la couronne d’Espagne à Philippe V et à ses descendans. L’interprétation que lord Palmerston veut donner au traité d’Utrecht est d’ailleurs repoussée par les faits. Jamais ce traité n’a été considéré comme faisant obstacle au mariage entre les diverses branches des Bourbons de France et d’Espagne. En 1721, Louis Ier, roi d’Espagne, fils aîné de Philippe V, a épousé Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, une des filles du régent. En 1739, l’infant don Philippe, duc de Parme, autre fils de Philippe V, s’unit à Louise-Élisabeth de France, une des filles de Louis XV ; enfin, en 1745, le dauphin, fils de Louis XV, épousait une fille de Philippe V. Or, les infantes n’apportaient-elles pas dans ces mariages un droit éventuel, mais positif à la couronne d’Espagne ? Il ne faut pas oublier que la loi proclamée par Philippe V n’était qu’une sorte de demi-loi salique, qui, en n’admettant les femmes qu’après l’entière extinction des mâles, finissait cependant par les admettre. M. le ministre des affaires étrangères conclut que le traité d’Utrecht suffirait dans l’avenir aux intérêts de la paix et de l’équilibre européen, comme il y a suffi jusqu’à présent.

Quant à l’indépendance de l’Espagne, le gouvernement français la respecte