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mais, d’un autre côté, on s’effraie des conséquences que pourraient avoir les concessions royales. Au reste, cette agitation indécise qui perce dans l’attitude du gouvernement prussien n’est pas un des moindres symptômes de la situation de l’Allemagne. On voit donc que partout en Europe la force des choses pose des problèmes dont les difficultés exerceront long-temps la sollicitude et l’habileté des gouvernans.

Pour la France, la question espagnole est une affaire de premier ordre qu’il était impossible d’abandonner au hasard des événemens ou plutôt aux ambitieux desseins de lord Palmerston. Que ceux qui seraient tentés de nier une vérité si simple supposent un moment que la reine d’Espagne, au lieu d’épouser un descendant de Philippe V, eût aujourd’hui pour mari Léopold de Cobourg, et l’infante, don Enrique, l’un et l’autre candidats du ministre anglais. En face d’un pareil résultat, que n’eût-on pas dit ! que de reproches ! que d’accusations ! On eût montré, et avec raison, les traditions séculaires de la politique française méconnues, foulées aux pieds. Or, si pour une semblable humiliation, pour un pareil échec, on eût exprimé un juste blâme, n’est-il pas évident que le dénouement contraire mérite l’approbation ? Il est des situations qu’on ne peut accepter, si modéré, si ami de la paix qu’on puisse être. Le mariage de la reine d’Espagne avec un Cobourg eût attesté la faiblesse du gouvernement de juillet. N’eût-on pas dit en Europe que la France était descendue au rang d’une puissance de troisième ordre, puisqu’elle n’avait pas assez d’autorité pour obtenir un résultat aussi naturel que l’union de la reine d’Espagne avec un de ses cousins ? Il y avait aussi pour le roi Louis-Philippe, dans cette circonstance, des sentimens de chef de famille et de race qui le soutenaient. Le représentant de la branche cadette des Bourbons n’a pas voulu rester au-dessous de la branche aînée.

Cette affaire du double mariage, qui, pendant quelques années, a été si compliquée, si lente, que nous avons vue plusieurs fois interrompue, a été reprise avec la résolution d’en finir, puis, en peu de semaines, conclue et terminée d’une manière éclatante. Les mariages annoncés à la fin d’août ont été célébrés le 10 octobre. La France avait envoyé à Madrid deux jeunes princes qui se sont noblement confiés à la courtoisie, à l’hospitalité de l’Espagne. C’est sur ces fait accomplis qu’existe maintenant entre la France et l’Angleterre un débat tout-à-fait sérieux. Il est loin de notre pensée de chercher à atténuer la gravité du différend, car à notre sens c’est précisément cette gravité qui fait un devoir aux partis et aux hommes politiques sincèrement dévoués au gouvernement de 1830 de lui prêter leur adhésion, leur appui dans une conjoncture aussi délicate. Pour nous, dès que la question s’est ouverte, nous n’avons pas cru pouvoir hésiter. Il nous a semblé que, lorsque, pour la première fois, depuis l’humiliation infligée à la France en 1840, notre gouvernement montrait, dans une grande question de politique extérieure, une résolution véritable, une complète indépendance, il fallait de toute nécessité l’appuyer, le soutenir hautement. Que fait-il aujourd’hui, sinon ce que, pour notre part, nous lui avons souvent demandé ? Que de fois nous l’avons pressé, lorsqu’il voyait une entreprise utile aux intérêts, à l’honneur de la France, d’aller à son but d’un pas ferme, et notamment de ne pas sacrifier des projets légitimes aux prétentions, aux exigences de l’Angleterre, quand les unes et les autres se trouveraient excessives ! Cette fermeté que nous réclamions de notre gouvernement, à laquelle jusqu’ici