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meurtre. Quant au surplus des investigations, les médecins appelés à les faire pourraient seuls, dans leur langage scientifique, en exprimer le résultat. Il nous suffira de dire qu’ils croyaient à de coupables violences et qu’ils attestaient néanmoins l’innocence de la jeune fille assassinée.

Les vêtemens de Mary étaient fort en désordre et déchirés. Sa robe, fendue depuis l’ourlet inférieur jusqu’à la ceinture, et tordue autour de sa taille, y était maintenue par un de ces nœuds que les marins appellent clé. De sa jupe, en fine mousseline, on avait détaché avec soin une espèce de bandeau, large de dix-huit pouces, qui, passé à son cou, y formait une espèce de cravate très lâche et retenue par un nœud très serré. Par-dessus cette bande de mousseline et le ruban dont nous avons parlé plus haut, on trouvait encore les brides d’un bonnet brodé qui pendait sur les épaules du cadavre. Le nœud de ces rubans ne ressemblait en rien à celui que les doigts d’une femme sont habitués à former. C’était plutôt le slip-knot ou nœud coulant des marins.

Aux conjectures tirées de cette première inspection du cadavre, il fallut, peu de jours après, joindre des renseignemens importans. Les enfans d’une femme qui tenait dans le faubourg une espèce d’auberge, rôdant parmi les bosquets qui avoisinent Weehawken, trouvèrent sous un berceau très retiré, où trois grosses pierres formaient une sorte de banc rustique, un jupon blanc, une écharpe de soie, un parasol, des gants, un mouchoir de poche ; tous ces objets avaient appartenu à Mary Rogers. On découvrit encore plusieurs débris de vêtemens sur les broussailles environnantes. La terre était foulée, les buissons portaient les traces d’une lutte. Entre le bosquet en question et la rivière, plusieurs barrières avaient été jetées bas, et le sol était labouré comme après le passage d’un objet pesant, traîné à force de bras.

L’aubergiste, interrogée par suite de cette première découverte, déclara que vers trois heures de l’après-midi, le dimanche où le meurtre avait dû être commis, un jeune homme très brun et une jeune fille étaient venus passer quelque temps chez elle. De là ils s’étaient dirigés vers les bois environnans. La jeune personne, dont l’hôtelière avait remarqué le costume, portait en effet une écharpe. Bientôt après le départ du jeune couple, une bande de jeunes gens, appartenant à cette classe malfaisante qui compromet sans cesse la tranquillité publique, étaient venus demander à grands cris un repas qu’ils avaient oublié de payer en s’en allant. On les avait vus se diriger vers les bois ; dans la soirée, en grande hâte et fort échauffés, ils étaient revenus sur leurs pas, et avaient repassé le fleuve. C’était dans la même soirée, un peu avant la tombée de la nuit, que l’aubergiste avait entendu les cris d’une femme ; cris violens, désespérés, mais étouffés promptement. Un conducteur