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leur Évangile, ils se dévouent à le propager, et j’en connais qui vont par le monde, colportant ce merveilleux traité, de même que les protestans, la Bible, et nos dévots catholiques, ces dialogues avec le bien-aimé, composés pour les hommes qui ne veulent point périr. Ceci se comprend du reste : l’Essai philosophique n’est pas seulement un effort ambitieux de l’intelligence animée d’un vain désir de connaître ; il a ses conclusions morales, ramenant l’homme à la pratique du bien par le calcul des chances favorables constamment attachées à l’observation des principes éternels qui fondent et maintiennent les sociétés.

Sans être d’un ordre aussi relevé, sans conduire à un aussi noble but, sans qu’ils émanent d’une pensée aussi vigoureuse, les contes dont nous allons parler ont une parenté évidente avec l’œuvre sérieuse du savant marquis. Si les incohérentes fictions du roman vulgaire ont de quoi vous attirer et vous retenir, vous ne retrouverez ici rien d’analogue. Poésie, invention, effets de style, enchaînement du drame, tout y est subordonné à une bizarre préoccupation, — nous dirions presque à une monomanie de l’auteur, — qui semble ne connaître qu’une faculté inspiratrice, celle du raisonnement ; qu’une muse, la logique ; qu’un moyen d’agir sur ses lecteurs, le doute. Autant de récits, autant d’énigmes sous diverses formes, et avec des costumes divers. Portant la livrée fantastique d’Hoffmann, ou bien le costume grave et magistral de Godwin, renouvelés de Washington Irving ou de Dickens, c’est toujours la même combinaison qui met aux prises OEdipe et le sphinx, le héros et un logogriphe ; un fait ténébreux, un mystère impénétrable en apparence, et l’intelligence qui s’irrite, se passionne contre le voile étendu devant elle, jusqu’au moment où, après d’incroyables travaux minutieusement racontés, elle sort victorieuse de cette lutte.

En définitive, me direz-vous, c’est là le fond de plus d’un roman et de presque tous les drames. Supprimez la curiosité, les raisons de douter et de craindre, dissipez cette incertitude sur l’issue finale du récit, qui tient en suspens et en haleine le lecteur, le spectateur embarrassé ; où chercherez-vous les conditions d’intérêt sans lesquelles ces sortes de compositions ne sauraient subsister ? D’accord : tout roman, tout drame implique un antagonisme dont les douteuses vicissitudes sont plus ou moins, selon le talent de l’écrivain, enchaînées entre elles par un lien logique. Le syllogisme est au fond des situations les plus pathétiques, et telle apostrophe qui fait battre des mains à toute une salle émue n’est au fond qu’un sorite éloquemment dissimulé. Mais, dans les drames et les romans, la logique est le pivot caché de l’action. Elle se dérobe sous un nombre infini de détails, tous destinés à éblouir, à égarer notre esprit, lorsque, du point de départ qui lui fut offert, il veut trop vite, et par une voie trop directe, se précipiter au dénouement. Et pour vous assurer que l’accessoire emporte