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donner un instituteur commun à leurs enfans. On compte trente collèges destinés à préparer les jeunes gens aux examens des divers degrés ; mais la plupart de ces collèges n’ont qu’un ou deux professeurs, presque toujours indépendans du gouvernement.

Il y a tous les trois ans à Canton de grands examens où l’on confère le grade de keu-jin, qui donne droit à concourir aux examens de Péking. Huit ou dix mille étudians de la province se réunissent au chef-lieu pour cette solennité. Ils sont ordinairement suivis d’un grand nombre de parens et d’amis qui viennent assister à leur triomphe ou à leur défaite. Les examens ont lieu dans un grand édifice nommé Hio-kien. Les lettrés sont répartis un à un dans des cellules où ils se trouvent complètement isolés. On les soumet à une surveillance des plus rigoureuses, afin d’empêcher qu’il leur arrive le moindre secours du dehors. Un certain nombre d’épreuves leur est imposé. Leurs travaux durent plusieurs jours. Enfin le moment arrive. Ce sont les plus hauts fonctionnaires de la province qui, sous la présidence d’un commissaire de l’empereur envoyé de la capitale, forment le comité d’examen. Sur l’immense multitude de candidats présens, soixante ou quatre-vingts seulement sont élus. Les heureux licenciés deviennent immédiatement des personnages. Ils ne sortent plus qu’en palanquin ou à cheval, et peuvent faire promptement leur fortune, sans même prétendre au grade le plus élevé de la hiérarchie érudite, qui ne s’obtient qu’aux examens de Péking. — Outre ces concours triennaux, il y en a d’autres à Canton, qui ont lieu tous les dix-huit mois, et où l’on confère aux jeunes lettrés le titre de siou-tsaé (talent en fleur), qui est inférieur à celui de keu-jin (écolier promu).

Il n’appartient qu’aux jeunes gens de familles aisées de tenter des épreuves aussi chanceuses et aussi multipliées. Les gens du peuple se bornent à faire donner l’instruction élémentaire à leurs enfans. Nous devons reconnaître que, sur ce point, la civilisation chinoise est au moins égale, sinon supérieure à la nôtre. On rencontre à Canton très peu de domestiques et même de coulis qui ne sachent lire et écrire, sinon plusieurs caractères, au moins les plus indispensables ; car il faut être plus qu’un lettré ordinaire pour connaître seulement la cinquième partie des lettres chinoises. Les jeunes domestiques ou boys attachés au service des Européens semblent éprouver un vrai bonheur à tracer les noms chinois que leurs maîtres leur demandent de temps en temps. Pour cela, ils apportent une large pierre où l’on a pratiqué une échancrure : c’est dans cette cavité qu’ils délaient leur encre, après en avoir frotté un bâton sur la surface polie de l’encrier. Quand ils ont terminé ces préparatifs, ils trempent dans l’encre un grand pinceau qu’ils promènent verticalement sur le papier. Les caractères qu’ils peignent ainsi sont toujours d’une régularité et d’une netteté remarquables.

L’étude des langues étrangères, si elle était encouragée à Canton, semblerait devoir y faire de rapides progrès. Les habitans de cette ville montrent une très grande aptitude à apprendre tous les idiomes. La langue chinoise présentant aux étrangers une extrême difficulté, il s’est formé à Canton une espèce de patois, dérivé de l’anglais et du chinois, qui suffit aux communications des Cantonais et des Européens. Les Chinois ont de mauvais maîtres qui leur enseignent les premiers élémens de cet anglais bâtard ; puis ils complètent leur instruction en étudiant par cœur de petits livres dans lesquels les phrases anglaises les plus usuelles se trouvent traduites en chinois. C’est une chose réellement surprenante que