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vivement applaudi ; on eût dit que tous les combattans allaient s’entretuer.

Cependant, malgré la musique et les tours grotesques des saltimbanques, les spectateurs commençaient à donner quelques signes d’impatience. Des bruits fort inquiétans s’étaient répandus. La soirée s’avançait, et le bateau qui devait apporter le dîner de Canton n’était pas encore arrivé. On échangeait à ce sujet mille suppositions. Ce bateau avait-il chaviré ? Était-il tombé entre les mains des pirates ? Le malheureux Poun-ting-koua, habitué à faire si grandement les honneurs de sa maison, paraissait vraiment au désespoir. On put craindre un moment que le suicide de Vatel ne trouvât son pendant en Chine. Enfin les alarmes cessèrent. Le dîner était arrivé, et non pas un dîner chinois, comme l’annonçaient quelques alarmistes, mais un magnifique dîner européen, auquel on fit largement honneur. Ce ne fut que vers minuit que nous prîmes congé de l’aimable Poun-ting-koua pour retourner à Canton, les uns en tankas, les autres en bateaux de fleurs.


IV.

La vie privée des habitans du Céleste Empire nous a préparés suffisamment aux singularités de leur vie publique. Décrire les attributions des nombreux agens du pouvoir impérial à Canton, c’est faire connaître en même temps le système administratif qui régit les principales cités chinoises.

Le plus haut fonctionnaire de Canton est naturellement le vice-roi, au tribunal duquel se jugent en dernier ressort la plupart des affaires civiles et criminelles de la province. Dans les cas où l’on peut interjeter appel devant les tribunaux de Péking, ceux-ci ne décident ordinairement que sur informations. — Inférieur au vice-roi, le soun-fou ou lieutenant-gouverneur n’est pas entièrement sous sa dépendance. Quand il est d’avis opposé au vice-roi sur certaines matières, il faut recourir à Pékin. La pondération des pouvoirs est une des grandes règles du gouvernement chinois. Le vice-roi et le soun-fou traitent de concert toutes les affaires importantes.

La direction des finances est confiée à un trésorier-général, celle de la justice à un lieutenant criminel. Un chancelier littéraire est à la tête de l’instruction publique. Un fonctionnaire nommé ho-pou régit la douane. Si l’on ajoute à ces fonctionnaires supérieurs un certain nombre de chefs placés sous leur contrôle, on aura une idée complète du personnel de l’administration civile à Canton. Quant aux troupes, elles sont sous le commandement d’un général tartare ; mais, conformément au principe de la division des pouvoirs, le vice-roi et le sous-gouverneur ont chacun sous leurs ordres un corps de milice.

A côté de ces institutions toutes politiques, Canton ne compte qu’un petit nombre d’institutions de bienfaisance. On y trouve un hôpital pour les aveugles et pour les infirmes, un hospice pour les enfans-trouvés et un autre pour les lépreux. Tout est prévu, en revanche, pour favoriser, du moins parmi les hommes, le développement de l’instruction. Il faut dire que l’impulsion est donnée par les particuliers plutôt que par le gouvernement. Ainsi toutes les écoles primaires de Canton et plusieurs de celles consacrées à l’enseignement supérieur sont de simples établissemens privés. Souvent aussi quelques familles se cotisent pour