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Désormais la paix est conclue, et, dans ce ménage un moment livré à la discorde, l’harmonie ne sera plus un instant troublée. La conclusion qu’on peut tirer de cette petite pièce est des plus morales : c’est que deux époux doivent savoir vieillir ensemble, sans s’apercevoir, ou du moins sans se plaindre des changemens causés par les années.

La représentation n’offrit d’ailleurs rien de particulier, si ce n’est que le rôle de la dame était rempli par un Chinois passablement déguisé, car les femmes ne sont point admises à figurer dans les sing-song. L’acteur chargé de ce rôle tint pendant toute la pièce la main droite en l’air, dans une attitude démonstrative. Était-ce pour exprimer la menace, ou bien se conformait-il à une règle du théâtre chinois ? C’est ce que nous ne pûmes savoir. La musique se faisait entendre à de courts intervalles, comme dans nos vaudevilles. Les acteurs chantaient leur rôle plutôt qu’ils ne le récitaient, et cela d’une voix aiguë et désagréable. On voyait paraître de temps en temps quelques personnages grotesques, portant sur la tête d’étranges ornemens en forme d’oreilles de quadrupèdes. Plusieurs d’entre eux étaient coiffés d’énormes plumes de faisan qui allaient par momens se brûler aux lustres. Les gestes de tous ces comédiens étaient des plus grotesques ; on n’y trouvait aucune vérité, aucun naturel. Ce défaut n’en paraîtra que plus surprenant, si l’on songe que le goût des représentations théâtrales est un goût populaire en Chine. On joue la comédie dans les rues et sur les places publiques aussi bien que dans les temples et dans les palais. À la vérité, les spectateurs se contentent à peu de frais. Il n’est pas rare de voir improviser en quelques heures un théâtre formé tout simplement d’une estrade recouverte de nattes, soutenue par des pieux et un échafaudage en bambou à trois ou quatre mètres au-dessus du sol. Avec une mise originale, des costumes éclatans et bariolés, des coiffures pyramidales et une longue barbe postiche, les acteurs, pour peu qu’ils sachent animer leur pantomime, sont sûrs de plaire à la foule. Un de leurs divertissemens consiste à courir en rond les uns à la suite des autres armés de chasse-mouches en crin, La tolérance des Chinois en matière de récréations dramatiques éclate surtout quand il s’agit de suppléer par l’imagination à quelque lacune de la mise en scène. Ainsi un personnage qui devra monter à cheval simulera le mouvement qu’il ferait pour enjamber son coursier, et il sera censé être en selle. Les unités de temps, de lieu et d’action ne sont pas traitées moins cavalièrement, et la morale publique est quelquefois médiocrement respectée. Rien de plus comique que les efforts que font souvent les acteurs pour remplacer, au moyen de la voix humaine, l’accompagnement de l’orchestre ; ils poussent alors en chœur, à certains intervalles, des cris aigus et traînans, destinés à imiter les aigres accords du taï-kam et du y-in, méchantes violes chinoises. Nous retrouvâmes toutes ces bizarreries dans la représentation donnée chez Poun-ting-koua.

Après le vaudeville, la scène fut envahie par une troupe de saltimbanques qui s’étaient peint très artistement le visage, et qu’on aurait dit masqués. Une laide petite femme, déguisée en homme, se mit à pirouetter ; puis, des hommes habillés en femmes, armés d’épées et de piques, coururent en cercle, se poursuivant les uns les autres. La musique devenait de plus en plus étourdissante. Les évolutions des sauteurs s’accomplissaient autour d’une pyramide de chaises, sur laquelle s’était juché un des personnages de la troupe, qui contemplait cette lutte bouffonne avec une gravité imperturbable. Un jeu d’épées et de lances fut surtout