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à droite et à gauche de la cloison mènent dans une avant-cour terminée par une antichambre ou salle de réception. Cette salle est entièrement ouverte sur le devant ; le mur du fond est décoré d’un autel consacré au culte des ancêtres ou de quelque génie tutélaire. Sur l’autel, paré de fleurs et de feuillages en clinquant, une lampe, toujours allumée, attend les fidèles qui viennent y brûler des parfums et des papiers dorés, après avoir chargé d’offrandes une table voisine. De longues bandes de papier rouge, couvertes de sentences en gros caractères noirs, sont suspendues aux murs. L’appartement est orné de quelques grandes lanternes de formes bizarres ; les unes, rondes, sont faites en papier enduit de glu d’agar-agar et chargées de figures grotesques ou d’inscriptions ; les autres, carrées, consistent en plaques de verre enchâssées dans des cadres à rainures et couvertes aussi de peintures.

A droite et à gauche de l’autel se présentent ordinairement deux issues qui mènent dans une seconde cour, sur laquelle donne un assez vaste balcon carré qui règne tout le long du corps de logis. Souvent aussi il n’y a qu’une seule cour, et les deux portes de la salle de réception mènent directement dans l’intérieur de l’habitation. L’appartement des hommes se nomme, à Canton, goun-ting, et celui des femmes, qui en est entièrement séparé, ka-kunting. Des escaliers étroits font communiquer les différens étages. Les chambres, petites et nombreuses, sont garnies de guéridons, de fauteuils larges et carrés, à dossiers droits, très incommodes et très disgracieux. On ne voit de rideaux et de tissus qu’autour des lits. Les cloisons et les portes sont ornées de charmantes ciselures à jour, qui font honneur, par leur fini parfait comme par leur originalité, à la patience et au goût de l’ouvrier chinois. Les lampes, les lanternes, les peintures d’animaux, de plantes, de rochers et de paysages impossibles, se rencontrent à chaque pas. On remarque aussi une singulière profusion de pancartes rouges, sur lesquelles sont inscrites des maximes, des allégories, des comparaisons envers, dont le sens est souvent très obscur pour les Chinois eux-mêmes, qui ne trouvent beau et spirituel que ce que l’on a beaucoup de peine à comprendre. Ces pancartes se placent par couples, et l’inscription de l’une est le complément de celle de l’autre[1].

Enfin, outre les chambres que nous venons de décrire et qui sont réservées à la vie intérieure, la plupart des maisons des riches cantonais ont au sommet une délicieuse terrasse où l’heureux propriétaire va le soir respirer la brise et se livrer à de douces rêveries. Rien ne manque, on le voit, aux habitations chinoises sous le rapport du confortable et de l’agrément. Ne nous contentons pas cependant de ce premier aspect des rues et des maisons. Ces brillans dehors ne nous font connaître qu’à demi une population qui mérite d’être observée de plus près.


III.

On a hasardé bien des calculs, bien des opinions différentes sur le chiffre de la population de Canton. Les uns, se fondant sur le peu d’élévation des maisons et sur le temps assez court qu’ils ont mis à faire le tour de la ville, ne lui donnent

  1. Ainsi l’on écrira sur la première : « Clair comme l’intelligence d’un savant à son automne ; » puis, sur la seconde : « Et comme la rosée que produit un nuage doré par le soleil. » Telle est la traduction que m’a donnée d’un de ces distiques un interprète de Macao.