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l’allure heurtée de nos montures et la construction vicieuse de l’appareil informe qui leur tenait lieu de selle semblaient avoir allongé le trajet. Aussi, à notre arrivée, prîmes-nous possession des lits peu moelleux de l’albergo di Napoli avec un sentiment de jouissance intime facile à comprendre pour quiconque aura, comme nous, trotté toute la journée sur le dos d’un mulet sicilien ou dormi pendant un mois entre une planche et une cape de matelot.

Placée à l’extrême pointe occidentale de la Sicile et possédant un assez bon port de mer, Trapani, avec sa population de trente mille ames, jouit encore d’une certaine importance. Toutefois on voit sans peine que cette ville a connu des jours meilleurs. Ici, comme dans toutes les cités de l’ouest que nous avons visitées, se montrent les vestiges attristans d’une splendeur qu’a remplacée la misère, de grandes et larges rues où l’herbe croît en liberté, des palais en ruine qui abritent à peine quelques mendians. Trapani est riche en contrastes de ce genre entre le passé et le présent. Nous avons remarqué surtout le palais élevé par Guillaume de Porcelets, gouverneur de Calatafimi, le seul Français qu’épargnèrent les assassins des vêpres siciliennes. Les murs en sont couverts de sculptures, du pavé jusqu’au faîte ; partout les trophées et les statues se pressent autour des armoiries de cette fière famille, qui portait un porc en champ et un aigle en chef. Eh bien ! de cette demeure princière, la seule partie aujourd’hui habitée est le rez-de-chaussée, qui sert d’étable.

Bâti sur l’emplacement de l’antique Drepanum, Trapani n’a pourtant conservé aucune ruine grecque, carthaginoise ou romaine. Le temple de Vénus, qui s’élevait, à une lieue de la ville, sur le sommet du mont Eryx, a été successivement remplacé par une forteresse sarrasine et par le couvent de San-Juliano ; mais, si les œuvres de l’homme ont disparu de ce coin du globe où se heurtèrent les plus puissantes nations des temps passés, la nature est restée la même. En face du port s’élève toujours le rocher décrit par Virgile, et qui servit de but à la course de vaisseaux dans les jeux funèbres célébrés en l’honneur d’Anchise. Ce rocher est appelé Colombara, et, comme au temps de Vénus Erycine, il sert encore de rendez-vous aux colombes du voisinage, lors de leurs migrations annuelles. Ces oiseaux, que le zèle des néophytes chrétiens tenta vainement de proscrire, ont conservé leurs anciennes habitudes, et, bravant aujourd’hui le fusil des chasseurs comme ils avaient, au moyen-âge, bravé les foudres de l’excommunication, ils viennent, tous les ans, nicher dans les grottes et parmi les rochers du rivage.

Au reste, on dirait qu’en dépit du saint qui a renversé ses autels, la déesse de la beauté répand encore ses faveurs sur cette terre qui lui fut consacrée. Les femmes du village de San-Juliano, bâti sur l’ancien