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Le lendemain, Mme de Favras emmena sa sœur dans une terre aux environs de Paris ; elles y passèrent quinze jours dans une complète solitude, sans aucune nouvelle de Félise, sans entendre prononcer le nom de M. de Gandale. Angèle était toujours fort triste, et Mme de Favras désirait et redoutait également de savoir ce qui s’était passé pendant son absence. En retournant à Paris, elle trouva chez elle ce billet de la comtesse de Manicamp :


« MA CHÈRE BARONNE,

« Mon neveu est un fat que je déshériterai certainement. Il est tombé amoureux de cette petite qu’on garde dans une tour enchantée. Selon vos récits, elle est riche et de bonne maison ; mais je ne me soucie point de l’alliance de cette belle-au-bois-dormant. J’avais d’autres visées. J’ai déclaré à M. le marquis de Gandale que je n’entrais point dans ses desseins ; ainsi, c’est lui qui ira en personne faire sa demande à la fée Dentue.

« J’ai voulu vous annoncer ce beau mariage, afin de vous sauver la première surprise, vous priant de me tenir au surplus pour votre meilleure amie et très humble servante.

« COMTESSE DE M... »

— Eh bien ! ma sœur ! dit Angèle après avoir lu ce billet.

— Nous allons repartir ; nous n’assisterons pas du moins à ce mariage, s’écria impétueusement MME de Favras.

— Oui, il faut partir, dit Angèle ; mais, avant de m’éloigner, je veux écrire à Félise.

Elle prit la plume, et, la main tremblante, le cœur gonflé de larmes, elle écrivit la lettre suivante :


«MA CHERE FELISE,

« Le ciel, qui vous avait éprouvée bien jeune par de grandes peines, vous réservait un grand bonheur : le plus honnête homme du monde vous aime et va bientôt demander votre main. Soyez heureuse avec lui et faites son bonheur, ma chère Félise ; c’est le vœu de ma sœur et le mien ; nous vous l’adressons en vous quittant pour bien long-temps sans doute. Que vos prospérités ne vous fassent point oublier ceux qui souffrent ; priez pour eux, pour vous, et, comblée des biens de ce monde, songez à des choses plus grandes et plus éloignées.

« Il me semble que la prédiction de la mère Perpétue ne sera pas vaine, et qu’un jour je prendrai le voile à l’Annonciation. Souvenez- vous de moi alors, et parlez quelquefois de la sœur ANGELE. »

Un adroit valet se chargea de faire tenir cette lettre à Félise, et une heure plus tard, en effet, elle la trouva roulée autour d’une pierre sur la porte de sa chambre. Félise ignorait tout ce qui se passait, et depuis