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pas garde que Félise avait seize ans, et que cette fleur de jeunesse s’épanouissait à vue d’œil. Suzanne continuait à la traiter comme une petite fille, et Mlle de Saulieu ne s’en occupa pas plus que par le passé. Une fois seulement, comme Félise sortait du salon, elle la suivit du regard et dit avec un soupir : — Cette enfant devient belle !

Un dimanche, Félise était à la messe avec Suzanne, placée, comme de coutume, à l’ombre d’un pilier, et séparée de la foule par sa terrible duègne. De temps en temps, elle relevait imperceptiblement la tête et jetait autour d’elle un regard furtif, car elle prenait un singulier plaisir à voir tout le beau monde qui affluait dans l’église des jésuites. Au moment où le service divin commençait, deux jeunes dames attardées traversèrent la grande nef, suivies d’un laquais qui portait leurs heures dans un sac de velours. Tous les regards s’étaient tournés vers elles, et sans doute elles entendirent murmurer sur leur passage plus d’une exclamation flatteuse. L’une, en grand habit de damas, en écharpe noire, portait le deuil des veuves d’un an ; l’autre était vêtue d’une robe de taffetas recouverte d’une mante de mousseline blanche ; son bonnet de gaze, orné de rubans rose vif, était relevé sur le front en tuyaux droits, et le tour de son visage était accompagné de petites boucles qui donnaient une grâce non pareille à cette simple coiffure. Elles traversèrent l’église d’un pas mesuré, avec une contenance fière et modeste, sans paraître s’apercevoir de l’effet qu’elles produisaient, et allèrent se placer au premier rang, devant le maître autel. A l’aspect de ces deux belles personnes, Félise n’avait pu retenir une exclamation de surprise et de joie : elle venait de reconnaître ses compagnes, ses bonnes amies de couvent, Cécile de Chameroy et sa jeune sœur Angèle.

— Qu’est-ce donc ? qu’avez-vous ? dit Suzanne en la regardant d’un air étonné ; vous êtes toute troublée.

— Ah ! c’est que je suis bien contente, répondit-elle à voix basse ; savez-vous quelles sont ces deux dames si belles, si bien parées ? Les meilleures amies que j’eusse au couvent. Quel bonheur ! je pourrai refaire amitié avec elles ; vous me permettrez bien de leur parler en sortant de l’église ?

— Non pas, mademoiselle ! répliqua Suzanne de son ton le plus sec et le plus résolu.

Félise rougit et détourna la tête avec un mouvement de dépit amer, de colère concentrée ; elle avait compris qu’il était inutile d’insister. Elle espérait vaguement se rapprocher des deux sœurs en sortant de l’église et leur parler à la faveur du tumulte ; mais Suzanne la surveilla et la retint à sa place jusqu’à ce que la foule se fût écoulée. Dans ce mouvement, elle avait perdu de vue ses belles amies, et elle se retirait le cœur gonflé de tristesse et de ressentiment contre son inexorable duègne, lorsqu’elle les aperçut traversant à pied la place de Birague et