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existence morale. Dès cette époque, d’aimables fantômes peuplèrent sa solitude ; elle vivait dans le royaume des fées et ne quittait leurs palais enchantés que pour se retrouver avec les grandes dames, les galans cavaliers de la cour de la reine-dauphine. Souvent elle était bien près de se considérer elle-même comme une jeune princesse dont quelque méchante fée avait été la marraine. Elle était tentée de voir dans ceux qui l’entouraient les mauvais génies commis à sa garde.

Un jour, en fouillant les meubles de sa chambre, elle trouva l’écrin que Suzanne avait caché dans un tiroir du cabinet. Elle reconnut aussitôt ces bijoux, et, se rappelant qu’elle les portait dans son tablier lorsque la sœur Geneviève la reçut dans la chambre du tour, elle demeura convaincue qu’ils lui appartenaient. Le portrait en médaillon la frappa d’abord ; il ressemblait au portrait qui était dans le salon : c’étaient les mêmes cheveux cendrés, le même air de tête fier et charmant. Félise leva instinctivement les yeux sur son miroir pour saisir quelque trait de ressemblance avec son propre visage, mais rien dans sa physionomie ne rappelait cette douce figure ; elle était moins jolie et plus belle que le portrait.

Après avoir placé cette petite peinture à côté du crucifix attaché au chevet de son lit, elle revint vers le miroir et prit un plaisir enfantin à se parer de tous les joyaux que contenait l’écrin. Suzanne la surprit ainsi, un triple rang de perles au cou, ses longs cheveux noirs entremêlés de pierreries, et les mains chargées d’anneaux précieux.

— Grand Dieu du ciel, que faites-vous là ! s’écria la vieille suivante avec une sorte de courroux, à quoi bon mettre au jour toutes ces parures ? Elles ne doivent plus servir à personne.

— Pourquoi ? fit étourdiment Félise. — Puis elle ajouta en riant : — Elles siéraient bien avec une belle robe de mariée. Dites-moi, Suzanne, quand est-ce qu’on me mariera ?

À cette question, la camériste fit un pas en arrière en regardant Félise d’un air effaré, et répondit brusquement : — Vous ? jamais !


VI.

Félise approchait de sa quinzième année lorsqu’elle avait quitté le couvent ; c’était alors une fille déjà grandelette, mais chez laquelle on ne voyait poindre encore aucun des attraits de la jeunesse. Elle avait les formes grêles, le teint sans fraîcheur des adolescentes dont le tardif développement s’opère tout à coup. En effet, l’enfant maladive et pâle se métamorphosa comme la chrysalide, qui, dans l’espace d’une nuit, quitte sa robe grisâtre pour des ailes couleur de rose et d’azur. Personne cependant ne parut s’apercevoir de cette transformation ; on ne prenait