Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sur le manteau même de la cheminée, il y avait deux petits livres auxquels le temps avait fait une reliure de poussière. Félise les prit machinalement du bout des doigts : c’étaient les contes de Perrault et un volume dépareillé de la princesse de Clèves. Un étroit escalier conduisait au second étage arrangé en mansardes, et qui avait dû servir jadis à coucher la livrée. Les laquais étaient, en vérité, plus agréablement logés que les maîtres ; toutes ces petites chambres avaient vue sur un enclos que la muraille du jardin empêchait d’apercevoir par les fenêtres des étages inférieurs, et qui renfermait des parterres ornés de jets d’eau, un boulingrin, des charmilles, des allées, les jardins de Versailles en miniature enfin.

— Ah ! le joli séjour ! s’écria Félise toute transportée et en avançant la tête hors de la fenêtre en œil de bœuf ; mais elle recula bien vite en apercevant en bas le vieux Balin, qui se promenait gravement entre les rosiers qu’il avait plantés et qu’il n’avait pas vu naître. Debout contre le volet qui la cachait, elle parcourut encore du regard la perspective qu’elle venait de découvrir ; puis elle descendit sur la pointe du pied, passa comme une ombre derrière Balin, et courut s’enfermer dans sa chambre, d’où l’on pût croire qu’elle n’avait pas bougé. Sans attacher la moindre importance à cette trouvaille, elle avait emporté les deux livres oubliés sur le manteau de la cheminée. D’abord elle ne fit qu’y jeter les yeux, et elle les cacha au fond d’un tiroir ; puis, un jour, plus désœuvrée encore que de coutume, elle en entreprit la lecture. Pour une fillette qui n’avait jamais ouvert que le formulaire des Annonciades, c’était un livre étonnant, merveilleux, que les contes de Perrault. Félise lut ces naïves féeries comme les jeunes filles lisent le premier roman qui tombe entre leurs mains, avec une curiosité, une émotion, un plaisir inexprimables. Toutes ces fictions la transportaient dans un monde enchanté auquel elle était bien près de croire, et pendant plusieurs jours elle ne rêva que de Riquet à la houppe et de cette belle princesse Finette, réduite comme elle à une solitaire captivité. Le premier volume de la Princesse de Clèves l’intéressa d’abord beaucoup moins que ces fantastiques récits ; mais, lorsqu’elle sut par cœur les contes de Perrault, elle se mit à relire le roman de Mlle de La Fayette. C’était un nouveau langage qu’il lui fallut étudier, le langage poli, délicat et raffiné du beau monde, des grands sentimens d’honneur, de vertu et d’amour chevaleresque ; mais ces cordes vibrèrent enfin dans son intelligence, elle prit goût à l’histoire romanesque dont elle ne pouvait suivre le fil interrompu, et repassa bien des fois ces longs entretiens où M. de Nemours analyse si délicatement sa passion pour la belle princesse de Clèves. Félise entrevit ainsi des choses que, dans l’ignorance et la simplicité de son esprit, elle n’avait jamais soupçonnées ; ce fut comme le premier rayon qui éclaira son imagination et vivifia son