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jetaient plus qu’un faible crépuscule qui s’épaississait de moment en moment. Le vent d’automne sifflait à travers les portes et faisait frôler les rideaux contre la boiserie. Félise s’assit toute transie sur un tabouret, et parcourut la chambre d’un regard attristé. Suzanne alluma deux bougies, ouvrit un de ces beaux meubles incrustés de nacre et d’écaille qu’on appelait autrefois des cabinets et qui servaient à la fois de secrétaire et de commode ; puis elle se mit à ranger le modeste trousseau de la jeune pensionnaire. Parmi les robes et le linge soigneusement pliés se trouvait le coffret que Mlle de Saulieu avait remis à la sœur Geneviève le jour même où Félise était entrée à l’Annonciation. Comme il avait été immédiatement déposé entre les mains de la supérieure et qu’il était resté depuis cette époque au fond d’une armoire de la sacristie, Félise n’en avait aucun souvenir. En ce moment même, elle ne s’aperçut pas du mouvement qu’avait fait Suzanne en le trouvant sous sa main. La vieille suivante ne jeta qu’un regard sur ce riche écrin, et se hâta de le placer dans un tiroir à secret qu’elle referma sur-le-champ. Après tous ces arrangemens, elle ouvrit les rideaux du lit, fit la couverture, et dit à Félise qui, les mains croisées sous son tablier et la tête penchée, la suivait du regard, sans proférer une parole : — A présent, mademoiselle, je vais vous faire souper ; ensuite vous vous coucherez...

— Déjà ! observa Félise ; au couvent l’on ne se couchait qu’à neuf heures. Je n’ai pas encore sommeil, et je vais faire compagnie à ma tante pendant la soirée, si elle le permet.

— Elle ne fait jamais la veillée, répondit Suzanne ; dès que la nuit est venue, mademoiselle se met au lit, et personne ne bouge plus dans la maison.

— Jésus ! que me dites-vous là ! Notre révérende mère supérieure disait toujours que, pour ne pas avoir de mauvais rêves, il fallait, avant de s’endormir, égayer son esprit par la récréation et sanctifier son âme par l’oraison. Est-ce que ma tante ne se récrée pas un moment après souper ?

— Elle ne soupe pas : tantôt je lui servirai dans son lit un biscuit et un verre d’eau ; ce sera là tout son repas.

— Et elle fait ainsi collation toute l’année ?

— Toute l’année ; mais vous n’êtes pas obligée d’en faire autant. On va vous servir à souper.

— Je n’ai pas faim, répondit tristement Félise. Pourtant, lorsqu’elle vit que Suzanne prenait un flambeau et se disposait à sortir, elle aima mieux la suivre que de rester seule jusqu’au lendemain dans cette grande chambre, dont l’aspect lui semblait si triste. La salle à manger où Suzanne la conduisit était vaste et sombre, comme toutes les autres pièces de l’appartement, et le soir la lueur des bougies ne rayonnait pas jusqu’au plafond, arrondi en coupole et peint à la fresque dans le