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délicats étaient hâves et flétris ; une vieillesse prématurée avait courbé cette taille de reine. Mlle de Saulieu gardait encore le deuil rigoureux qu’elle portait en arrivant à Paris ; sa robe de raz de Saint-Maur traînait par derrière comme un manteau de veuve, et sa coiffe de crêpe noir était attachée avec des épingles d’acier bronzé. Félise la considéra un moment avec un étonnement plein de tristesse, et, frappée de son lugubre costume autant que de sa figure, elle lui dit avec un soupir : — Vous avez pris le grand deuil pour la mort de ma tante Geneviève ?

— Je le porte depuis dix ans, et je le garderai toute ma vie, répondit Mlle de Saulieu.

Suzanne était entrée dans le salon en même temps que Félise, et elle paraissait observer avec inquiétude l’effet que produirait sur sa maîtresse cette première entrevue. Apparemment elle comprit que Mlle de Saulieu était déjà remise de la pénible impression que lui avait causée l’aspect de sa nièce, car elle se rapprocha de Félise et lui dit d’un ton radouci : — Avec la permission de mademoiselle, ne voulez-vous point passer dans votre chambre ?

— Comme il vous plaira, Suzanne, répondit-elle, intérieurement satisfaite d’échapper à l’embarras de ce premier entretien, que sa tante soutenait d’une façon si laconique. Quand elle eut fait la révérence et tourné le dos, Mlle de Saulieu la suivit du regard, et murmura avec un soupir qui semblait sortir du fond de son cœur saignant et déchiré :

— Mon Dieu ! quel sacrifice !...

Ensuite elle s’assit à sa place accoutumée, et, reprenant sa tapisserie, elle se mit à travailler machinalement.

L’appartement de Mlle de Saulieu, situé au rez-de-chaussée, se composait de trois grandes pièces qui occupaient toute la façade intérieure, laquelle formait ensuite deux ailes en retour sur le jardin. Chacune de ces constructions, peu profondes, ne contenait qu’une chambre à chaque étage. La chambre qui faisait suite à l’appartement de Mlle de Saulieu avait été arrangée à la hâte pour recevoir Félise. Ce séjour était loin d’offrir l’aspect riant et propret des cellules du couvent : les murs, revêtus de boiseries peintes en camaïeu, n’avaient point d’autre tapisserie. Chaque panneau formait un tableau représentant des personnages allégoriques, les Saisons, les Élémens, etc., lesquels faisaient une procession de figures blanches, sur un fond grisâtre, de l’effet le plus mélancolique. La cheminée, sous le chambranle de laquelle on pouvait se tenir debout, était décorée de pentes à double feston, et le lit à colonnes, placé sur une estrade, était d’une dimension capable d’étonner une petite personne accoutumée à l’étroite couchette garnie d’un tendelet blanc où dormaient d’un sommeil si tranquille les pensionnaires de l’Annonciation.

Le jour baissait, et les hautes croisées qui donnaient sur le jardin ne