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supérieure avec reconnaissance ; il est certain, mon révérend père, que Dieu vous inspire toujours ce qui doit tourner à sa gloire, ainsi qu’au repos et à la prospérité de cette maison.

Le surlendemain, après vêpres, le père Boinet fit demander la supérieure au petit parloir. — Le ciel aidant, j’ai conduit à bien cette affaire, lui dit-il : la personne chez laquelle je me suis présenté a été sensiblement touchée en apprenant la mort de notre pauvre sœur Geneviève ; mais elle se refusait à recevoir sa nièce. Il a fallu long-temps pour vaincre sa résolution. Maintenant, ma révérende mère, faites appeler ici votre enfant rebelle.

Félise entra dans le parloir avec un visage indifférent et morne ; elle s’attendait peut-être à une rigoureuse admonestation, et il était évident qu’elle était prête à la recevoir dans un silence passif ; mais, au lieu de la regarder d’un œil sévère, le père Boinet lui dit avec bénignité : — Vous avez manifesté, mademoiselle, le désir de quitter cette maison ; persistez-vous dans cette résolution ?

— Oui, mon révérend père, balbutia Félise, troublée par cette question inattendue.

— En ce cas, reprit le père Boinet du même ton, vous allez en sortir dès aujourd’hui : votre tante, Mlle Philippine de Saulieu, vous recevra chez elle.

— Ma tante Philippine ! répéta Félise avec une vague frayeur, car ce nom lui avait rappelé tout à coup les tristes impressions de son enfance.

— On va vous conduire dans sa maison, ma chère fille, dit alors la mère Madeleine ; fasse le ciel que vous trouviez auprès d’elle les consolations qui vous manquent ici !... Aimez-la, honorez-la, vivez dans la crainte de Dieu, et souvenez-vous que le couvent des Annonciades est toujours ouvert à celles qui, désabusées du monde, veulent y revenir pour le reste de leur vie.

Félise hésita un moment ; d’un côté, elle voyait la sombre et imposante figure de sa tante accompagnée de sa vieille Suzanne, de l’autre ces lieux vides et désolés où avait vécu la sœur Geneviève, et d’où elle était sortie pour toujours. Le sentiment de cette perte cruelle l’emporta ; elle fit instinctivement un pas vers la porte, et dit d’une voix étouffée, en se couvrant la figure de son mouchoir : — Je suis prête !...


V.

Il y avait, à cinquante pas du couvent des Annonciades, une assez grande maison dont la façade était masquée par un mur sans fenêtres, et percé seulement d’une porte cochère. La cour qui séparait cet édifice de la rue était plantée de tilleuls que la hachette de l’émondeur