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sujet, vous répondrez simplement qu’elle a écouté vos discours sans rompre le silence : ceci n’est pas un mensonge, c’est une restriction permise, et que vous pouvez faire en conscience.

Le lendemain, la mère Madeleine dit à son directeur : — J’ai fidèlement suivi vos instructions, mon révérend père, mais jusqu’ici j’ai agi sans succès. Malgré votre pénétration et vos lumières, vous n’avez pas tout-à-fait apprécié peut-être le caractère de cette enfant, avec son étourderie, son insouciance habituelle, il y a en elle un fonds d’opiniâtreté bien rare à son âge. Quoiqu’elle eût pour la pauvre sœur Geneviève une affection singulière, son cœur n’est guère capable d’attachement ; elle n’aime plus personne ici maintenant, et n’obéit qu’à l’autorité, à la force. C’est une sensible affliction pour moi de ne pouvoir remédier à ses dispositions, et je la quitte toujours pénétrée de douleur.

— Ainsi, ma révérende mère, dit le père Boinet, vous n’avez pas remarqué le moindre changement, le moindre progrès ?

— Pas le moindre ; sa situation est toujours la même ; mes exhortations l’importunent, les soins que lui donne la sœur Ursule l’aigrissent, elle se consume dans un mortel abattement ; si nous la gardons encore quelque temps ainsi, elle succombera.

— Vous désespérez de cette âme, ma révérende mère, dit le directeur avec l’accent d’un léger reproche ; vous êtes près d’abandonner votre tâche... Le bon pasteur ne laissait pas ainsi sa brebis égarée à moitié chemin. Il y a plus d’un moyen de la ramener, et nous allons aviser à prendre le meilleur.

Il réfléchit un moment et reprit : — Il faut que cette enfant quitte pour un temps le couvent.

— Elle est orpheline ; en quelles mains la remettre avec sécurité, Seigneur Dieu !

— Vous rappelez-vous, ma révérende mère, qu’elle fut amenée ici par une dame il y aura neuf ans le dernier jour de cette année. C’était sa proche parente, la propre sœur de sa mère, qui venait de bien loin pour la donner aux Annonciades. Depuis lors, cette personne a envoyé de temps en temps quelqu’un à la grille pour s’informer de la sœur Geneviève et se recommander à ses prières. Elle demeure près d’ici, et elle ne refusera pas de recevoir sa nièce dans sa maison.

— Mais, mon révérend père, observa la supérieure, c’est, contre votre première décision, rendre Félise au monde...

— Si ce que l’on m’a rapporté est vrai, c’est l’envoyer au contraire dans un si triste séjour, que bientôt elle demandera d’elle-même à revenir ici. Qu’elle ignore jusqu’au dernier moment notre dessein : je vais m’en occuper sur l’heure, et tâcher de mener la chose promptement.

— Que le ciel bénisse vos efforts et vos intentions ! s’écria la digne