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— Où voulez-vous m’emmener ? s’écria Félise avec une expression de désespoir farouche ; vous voulez que je retourne dans la cellule de ma tante Geneviève ! que j’aille encore au chœur, à l’ouvroir, au jardin, partout où j’avais coutume de la rencontrer ! Non, non... puisqu’elle n’y est plus, je n’y rentrerai jamais !

— Je veux vous emmener dans ma propre cellule, mon enfant, répondit la mère Madeleine, pénétrée de commisération ; je veux moi-même vous soigner, vous consoler... Vous vous consolerez, ma chère Félise : Dieu éprouve parfois ses créatures ; il leur envoie de grandes afflictions ; mais sa miséricorde soulage bientôt les cœurs désolés. La douleur où vous êtes plongée est un état passager ; il n’y a que les damnés qui souffrent éternellement. Bientôt vous vous apercevrez que le Seigneur ne vous a pas tout ôté. Vous avez, il est vrai, perdu une personne bien chère, mais il vous reste une nombreuse famille à laquelle vous êtes unie par les liens de l’amour et de la charité chrétienne : je suis votre mère, ma chère Félise, et toutes les annonciades sont vos sœurs.

Après avoir attendu un moment l’effet de ces paroles, elle ajouta d’un air de décision affectueuse : — Allons, mon enfant, suivez-moi. La pauvre désolée fit un pas en arrière en détournant la tête.

— Obéissez, ma fille, reprit la mère Madeleine avec un accent sévère et triste ; si je ne pouvais vous persuader, il faudrait me résoudre à vous contraindre.

Félise demeura immobile et ne répondit pas. Alors la supérieure, ayant appelé deux sœurs converses, leur ordonna de la conduire dans une cellule voisine de la sienne, et de ne pas la perdre de vue un seul moment.

Lorsque le père Boinet apprit ce qui s’était passé, il dit après réflexion à la mère Madeleine : — Ceci est grave, ma révérende mère ; cette enfant ne peut pas sortir d’ici comme Mlle de Chameroy ; quelle que soit sa vocation, il faut qu’elle soit religieuse.

— Oh ! mon père, que dites-vous ? interrompit la supérieure. Je vous ai entendu souvent détester les vocations forcées et déplorer l’opiniâtreté des parens qui obligent leurs filles à entrer en religion.

— Il est vrai, répondit-il vivement ; mais, croyez-moi sans que je m’explique davantage, la place de cette enfant n’est pas dans le monde, et la charité vous commande d’user de tous les moyens pour la garder ici et pour la décider à prendre le voile.

La cellule où l’on avait conduit Félise était séparée du grand dortoir par les deux pièces qu’on appelait l’appartement de la supérieure. Cette chambrette, propre et bien éclairée, avait vue sur le jardin, et le soleil d’automne l’égayait tout le jour de ses tièdes rayons. Une sœur converse prenait soin de la jeune pensionnaire et lui tenait silencieusement