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L’espiègle à ces mots fit une grande révérence aux tableaux et s’en alla en dansant suivie de la sœur Geneviève.

Le temps marchait cependant au milieu de ces devoirs et de ces récréations monotones ; quatre années s’écoulèrent pesantes, uniformes, sans intérêt, sans souvenirs. La sœur Geneviève en avait senti passer lentement toutes les heures, et il lui semblait que cette période de son existence était comme un seul jour d’une longueur infinie.

Angèle et Félise étaient encore deux enfans ; mais Cécile allait avoir seize ans ; l’adolescente était devenue une belle jeune fille, fraîche et brillante comme un bouton de rose. Son teint pur et velouté avait un éclat incomparable, et ses cheveux d’un blond doré étaient les plus beaux du monde. A chaque mouvement de tête un peu trop vif, ces magnifiques tresses se dénouaient et retombaient jusqu’à ses talons. Alors la maîtresse des pensionnaires les relevait sous son béguin de gaze noire et grondait doucement l’étourdie, qui lui répondait en riant : — Pardonnez-moi, ma chère mère, bientôt je ne vous donnerai plus cette peine. Le jour où je prendrai le voile blanc, les grands ciseaux de la mère Perpétue abattront tout cela.

Le moment approchait en effet où la jeune pensionnaire devait prendre l’habit de novice, et elle semblait l’attendre sans effroi, sans inquiétude. Son humeur était toujours aussi enjouée ; ses yeux vifs et rians n’accusaient ni larmes secrètes ni soucieuses insomnies, et son charmant visage conservait une inaltérable sérénité. A la vérité, elle ne manifestait pas non plus l’impatiente ferveur d’une ame qui va au devant de ses nœuds mystiques. La mère Madeleine affirmait qu’elle avait la vocation passive : dans l’opinion de la digne supérieure, c’était la meilleure. Elle jugea qu’il ne fallait pas différer de fermer à jamais sur cette blanche brebis les portes du bercail, et le jour fut fixé pour la cérémonie.

L’usage était qu’avant de prendre le voile, la postulante se préparât à cet acte solennel par quelques jours de solitude et de recueillement. Il y avait à cet effet, dans la maison, une chambre isolée dont l’ameublement était tout-à-fait conforme à la pauvreté monastique. La couchette sans rideaux était placée entre une chaise de paille et un prie-dieu ; l’étroite fenêtre qui s’ouvrait sur une cour intérieure répandait une lumière triste sur les murs entièrement nus et blanchis à la chaux. On appelait ce mélancolique séjour la solitude, et les religieuses d’une piété fervente sollicitaient parfois la permission de s’y enfermer pour quelques jours par esprit de mortification et de pénitence.

Mlle de Chameroy paraissait toujours dans les mêmes dispositions ; elle semblait toujours gaie, tranquille, insouciante ; pourtant la veille du jour où elle devait entrer en retraite, comme elle se trouva seule un moment avec la sœur Geneviève après la prière du soir, elle lui dit